dimanche 18 mars 2018

Belfort, centre d’instruction des liaisons, 18 mars 1918 – Jean à sa mère

18/3/18

Maman chérie

Avant-hier après-midi nous avions renoncé, [Frank] Suan et moi, à aller dans la vallée j’avais une manœuvre qui ne devait me ramener à B. [Belfort] que vers 6 heures. Par un concours heureux de circonstances, j’étais de retour à 4 h ¼, je pouvais prendre [Frank] Suan chez lui et nous arrivions à temps pour prendre l’auto postale. Celle-ci nous menait quelques heures plus tard à destination. Et les Scheurer sortaient à peine de table quand nous sommes arrivés chez eux. On nous a restauré abondamment et nous avons passé une journée de bonne causerie. Suan a beaucoup interessé tout le monde par ses histoires de Martinique, où il est né et où il a vecu jusqu’à 17 ans – l’histoire de son professeur nègre agrégé d’anglais – celle de l’eruption du Mont Pelé – celle de ses plantations de cocotiers, etc, etc. Il était intarissable.

Après un excellent sommeil, nous avons retrouvé au petit déjeuner Mr [Jules] Scheurer, sur le point de partir pour le Rossberg un sommet de la région. Il faisait un temps splendide ; ascension facile. Mr Scheurer est l’agilité même malgré ses 65 ans. Là haut vue splendide. Suan était enthousiasmé, nous avons découvert la Forêt Noire, le Jura et même les Alpes, sans compter les sommets voisins auxquels j’étais très fier de pouvoir donner un nom, et sans compter la plaine qui s’étalait devant nous, et que la fumée de quelques obus animait de temps en temps. Un diner plantureux nous attendait selon la tradition de l’Alsace et de la maison. Nous ne sommes pas restés longtemps après déjeuner, je voulais voir [Édouard Mortier duc de] Trévise, que j’ai manqué et faire visiter Th. [Thann] à Suan. Une petite déconvenue nous attendait. L’auto postale sur laquelle nous comptions pour rentrer n’a pas pu nous prendre. Nous « sommes restés en carafe » devant la porte de Th. un peu abruttis à l’idée des 35 kil qui nous restaient à faire pour regagner B. [Belfort]. Nous sommes partis courageusement, et, après nous être arrétés en route pour diner, sommes arrivés ici à 1 heure du matin sans incident, sous la haute protection de la lune. Aujourd’hui nous sommes moulus. J’avoue que j’ai suivi le cours d’assez loin.

JMO du 132ème R.I. du 17 mars 1918

T’ai-je dit que le régiment s’installait tout à fait dans le voisinage et qu’il me sera très facile d’y aller diner. Tu vois que ma vie est sinon mouvementée, du moins très agreable.

Je penserai spécialement à toi demain, maman chérie, je sais combien les jours d’anniversaire sont lourds pour toi [le père de Jean était mort un 19 mars]. Je t’envoie ma grande tendresse.

Jean