mercredi 28 février 2018

Luxeuil-les-Bains, 28 février 1918 – Jean à sa mère

28/2/18

Ma chère Maman

Je ne te gâte pas beaucoup ; et pour comble de malheur quand je t’écris une lettre je commence par l’oublier dans ma poche. Ce qui est triste pour moi c’est que je n’ai pas reçu une lettre depuis que je suis ici. C’est l’isolement complet. A part ça, la vie continue un peu monotone, mais très supportable. Par exemple je perds absolument mon temps. Je vois heureusement beaucoup Seigneur qui est interessant et son Americain qui l’est encore plus. Il est très « fédération »1, et la federation americaine semble bien decidée à nous soutenir de toutes ses forces. Je trouve qu’ils ne se rendent pas assez compte qu’il y a des choses qu’ils ne peuvent pas faire à notre place et que leur influence sera limitée par le fait qu’ils sont americains. Mais leur appui materiel et spirituel après la guerre, c’est enorme. Je ne sais plus rien du 132e, naturellement. Je suis seul de mon regiment, et même seul fantassin comme stagiaire. Tous les autres sont des artilleurs.

Tendrement à vous tous
Jean
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1 Il s’agit de la Fédération des associations chrétiennes d’étudiants, dont Jean est un membre très actif. Il en sera d’ailleurs le secrétaire après la guerre. La « Fédé » avait des sections dans de nombreux pays, dont bien sûr les États-Unis.

mardi 27 février 2018

Luxeuil-les-Bains, 27 février 1918 – Jean à sa mère

27/2/18

Ma chère Maman

Ma vie n’est pas très drole ces jours-ci. Le mauvais temps empêche de voler, les conferences n’ont rien de passionnant et je connais peu les autres stagiaires et les aviateurs. Heureusement j’ai une bonne chambre où je puis m’installer et passer les heures libres de la journée. De plus, j’ai trouvé ici Seigneur1, de Montauban – tu sais le Seigneur qui mangait des beignets aux pommes à la joie de Suzanne [sœur de Jean], de Madeleine [cousine de Jean] et de toutes celles qui le servaient lorsque la faculté a fait une halte chez nous en se transportant à Marseille. Il dirige ici le foyer du soldat. Il a toujours sa tête de bon russe et un système pileux extremement developé. Il est doublé d’un americain d’une taille invraisemblable et d’un caractère joyeux.

Source : cparama

Puis, la ville n’est pas deplaisante, beaucoup de vieilles maisons, une ou deux places pittoresques. Ce n’est pas le genre habituel des villes d’eaux. Par contre c’est bien la vie d’hotel qu’on y mène. Petites tables, bridges, quelques femmes de milieux assez differents, toilettes même, élement civil mélé à l’element militaire. C’est assez different de tous les genres d’existence que j’ai mené depuis la guerre. Le malheur c’est que je ne reçois plus de lettres.

Tendrement à vous
Jean



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1 Sans doute Émile Seigneur (1890-1975), seul pasteur protestant portant ce patronyme figurant dans la base de données Pasteurs de France de Christian Gennerat.

dimanche 25 février 2018

Luxeuil-les-Bains, 25 février 1918 – Jean à sa mère

25/2/18

Ma chère Maman,

Source : cparama

Hier je t’ai écrit un peu hativement, car la journée a été trépidante. Aujourd’hui il fait un sale temps et c’est beaucoup plus calme. Nous partageons la vie des aviateurs, comme eux et avec eux nous sommes confortablement installés dans un des meilleurs hotels de la ville. Nous y couchons et nous y mangeons. Je dois dire que je m’embête un peu au milieu de toutes ces figures nouvelles et je suis vraiment navré de manquer Ducamp si bêtement. Je suis un animal très sociable, mais toujours un peu desemparé quand je suis transplanté.

Source : collections BDIC

Nous, les stagiaires, subissons des conferences, d’ailleurs assez courtes, faite par Parlier de Montpellier qui est aviateur dans une escadrille voisine. J’ai eu de la chance de pouvoir voler hier, car aujourd’hui le temps n’est pas brillant, et ça peut durer. Hier c’était un vrai bonheur de survoler les villages et le pays où j’ai veçu ces derniers temps et de retrouver toutes choses sous cet angle invraisemblable de 45°. On ne se rend plus compte du relief. J’ai laissé tomber un message lesté pour le 132e. Ce qui est très amusant aussi ce sont les evolutions autour de soi des avions voisins. J’espère pouvoir te raconter tout ça de vive voix bientôt, après le cours de Belfort pourtant.

Très affectueusement
J. Médard

samedi 24 février 2018

Luxeuil-les-Bains, 24 février 1918 – Jean à sa mère

24/2/18

Ma chère Maman,

Si ce n’était ce malheureux retard de permission, je ne serais vraiment pas à plaindre. Car en somme il est difficile de voir et de faire autant de choses interessantes que j’en fais et vois ces jours-ci.

Voilà mon journal depuis hier après-midi, c’est-à-dire mon depart du 132 ; et tu veras que mes dernières 24 heures ont été bien remplies : j’ai pris la voiture médicale, et j’étais deux heures après à L. [Lure] la ville voisine. Il me fallait attendre le train qui partait à 7 h, le lendemain matin. Je suis allé à l’hopital voir Bronner, un officier du regiment qui avait été blessé quelques jours avant par éclat de grenade, puis d’autres officiers du regiment qui faisaient à la gare la police des permissionnaires. Après diner se donnait à la maison un concert symphonique, executé presque entièrement par des premiers prix du conservatoire. J’ai eu la veine de le savoir et de pouvoir y assister. Je crois que je n’ai pas entendu d’aussi belle musique de ma vie… Pour un type qui en est sevré !

De bonne heure ce matin un autre officier stagiaire, d’artillerie, et moi nous prenions le train pour L. [Luxeuil]-les-Bains où se trouve l’escadrille de Ducamp, celle où je dois suivre mon cours. Malheureusement, Ducamp vient de partir en permission, mais ses compagnons nous ont très bien acceuillis, cette après-midi j’ai fait mon premier vol avec enthousiasme et sans dégobiller. Mais la place me manque pour te raconter tout ça.

Je vous embrasse tendrement.
Jean
Source : collections BDIC

vendredi 23 février 2018

Fin février 1918 – Au centre d’aviation de Luxeuil

Pour commencer, on m’envoie au centre d’aviation de Luxeuil [à 30 km d’Arpenans], où j’ai l’occasion de voler pour la première fois.

Source : collections BDIC
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )

jeudi 22 février 2018

Arpenans, 22 février 1918 – Jean à sa mère

22/2/18

Ma chère Maman,

Ce que je te faisais prevoir dans ma lettre d’hier s’est confirmé aujourd’hui. Je suis designé pour un cours de radio-télégraphie du 5 au 15 Mars à la suite de mon cours d’antenne. Je fais contre mauvaise fortune bon cœur, j’espère qu’à partir de ce moment là je pourrai enfin rejoindre la maison ; mais nous sommes payés pour savoir que les permissions sont alléatoires. Hier je suis allé avec Deconinck et Le Gall à L. [Lure] la ville voisine où nous avons fait quelques emplettes.

Source : Barkho-Reher-cpa

Il fait un temps assez maussade. [Pierre] Péchenart est parti en permission. Ce sont deux raisons pour rendre notre vie moins gaie ; mais c’est toujours la bonne cordialité. Je travaille un peu avec Le Gall. Je dors beaucoup. J’ai reçu une bonne lettre de [Albert] Léo, il a un mois de prolongation de convalescence qu’il passe à Arcachon. Au bout de ce terme il pense être reformé. J’ai reçu aussi une bonne lettre de Madame Scheurer [Marie-Anne Dollfus, épouse de Jules Scheurer]. Le petit coin de vallée est parait-il assez calme mais les boches amènent beaucoup d’artillerie.

Très affectueusement
Jean

mercredi 21 février 2018

Arpenans, 21 février 1918 – Jean à sa mère

21/2/18

Ma chère Maman

Source : collections BDIC

Tous les jours j’ai une nouvelle deception au sujet de ma permission. Après le retard pour la periode d’instruction ça a été le cours d’antenne puis le cours d’antenne lui-même a été retardé. Pour comble de malheur j’apprends que le cours d’antenne sera probablement suivi d’un cours de trois semaines à Belfort. C’est n’est pas encore officiel mais il faut s’y preparer. Tu vois ma pauvre maman qu’il faut s’armer de patience et de philosophie. Ce que c’est que de vouloir faire des projets à l’avance. Ces cours sont très utiles et seront probablement très interessants, mais tu comprends que ma permission est encore plus interessante que ça. A part ces petits ennuis rien de nouveau ; nous nous entendons toujours comme les cinq doigts de la main.

Le temps s’est gaté. Il s’est mis à neiger. C’est assez normal. Ce qui ne l’était pas c’est la longue période de beau temps qui a précédé.

Je suis incapable de t’en dire plus long pour aujourd’hui. Nous sommes nombreux autour du feu, l’on fait du bruit et je n’écris que des betises.

Tendrement à toi
Jean

mardi 20 février 2018

lundi 19 février 2018

dimanche 18 février 2018

samedi 17 février 2018

vendredi 16 février 2018

Arpenans, 16 février 1918 – Jean à sa mère

16/2/18

Maman chérie

Je devais partir en permission aujourd’hui. Malheureusement j’ai été raccroché au dernier moment. Je suis designé pour suivre un cours du 19 au 26 à une escadrille du corps d’armée.

Ce nouveau retard me contrarie mais j’avoue que je suis assez heureux de cette occasion qui m’est offerte de faire connaissance avec l’aviation. C’est justement l’escadrille de Ducamp. Mais il ne sera probablement pas là, il part un de ces jours en permission. Il te faudra donc patienter encore un peu.

Merci pour tes bonnes lettres des 10 et 12 que j’ai reçues ce matin. Je suis bien heureux pour Suzon et Hugo qu’ils aient d’agreables compagnons. Ils en sont assez sevrés d’ordinaire.

J’espère que la plaie à la jambe dont tu me parles n’est plus qu’un souvenir à cette heure.

Ma montre va très bien et je me sers journellement de mon costume n° 2.

Avant-hier nous avons eu le théatre aux armées. C’était très amusant, mais les artistes n’étaient quand même que des cabotins.

Source : collections BDIC

Hier je suis allé à V. [Villersexel] avec le Docteur nous y avons passé la journée et avons fait connaissance avec un nouveau masque contre les gazs.

Aujourd’hui j’ai travaillé en chambre avec Le Gall. J’apprends le morse. Ça rentre assez vite.

Tendrement à vous
Jean

jeudi 15 février 2018

mercredi 14 février 2018

mardi 13 février 2018

lundi 12 février 2018

Arpenans, 12 février 1918 – Jean à sa mère

[1er feuillet manquant, mais la date est connue car il s’agit d’une lettre gommée.]
12/2/18

vraiment me considerer comme privilégié. Notre petit aviateur Ducamp ne veut plus nous quitter, et pour un peu il ferait une demande pour passer dans l’infanterie. Ce soir nous avons le theatre aux armées. On a beaucoup travaillé et on est arrivé à faire sortir de terre une jolie salle. Les artistes dineront avec nous.

Source : collections BDIC
(N.B. La photo n'a pas été prise à Arpenans)

Je te raconterai ça après-demain, demain je vais dans la ville voisine entendre une conference sur les

[la fin de la lettre manque, vraisemblablement écrite dans le travers du 1er feuillet manquant.]

dimanche 11 février 2018

Arpenans, 11 février 1918 – Jean à sa mère

11/2/18

Maman chérie

Je crois que tu aurais des raisons de te plaindre de moi. Voilà plusieurs jours que je ne t’ai pas donné signe de vie. Ce n’est pourtant pas le moment de s’en faire à mon egard. Je crois n’avoir jamais été aussi heureux que ces jours-ci depuis longtemps. Tout devient un plaisir, même l’exercice, même les corvées et cela parceque nous sommes unis, que nous nous aimons. Le petit aviateur qui fait un stage parmi nous est enthousiasmé du 132e ; et lui-même ne contribue pas peu à mettre de la joie et de la gaitée dans notre petit cercle ; c’est un garçon délicieux. Quand il nous quittera pour rejoindre son escadrille ce sera une vraie peine pour nous tous.

Hier matin je suis allé entendre [Pierre] Péchenart à la messe. La veille il m’avait demandé de ne pas venir, craignant de froisser mes convictions parcequ’il prechait sur la sainte Vierge.

Je lui ai repondu qu’il ne me froisserait pas et que je l’ecouterai toujours serieusement et respectueusement. Evidemment nous sommes assez loin l’un de l’autre au point de vue dogmatique, mais très près autrement. Nous ne discutons pas ; ce serait inutile. C’est aussi un excellent camarade, debordant de vie et de gaité, sachant admirablement parler aux hommes et très populaire dans le regiment.

L’après-midi nous sommes allés à V. [Villersexel] le village où j’avais habité deux jours avant de quitter l’Infanterie. La musique du 132 y jouait. Un beau soleil, de la cordialité, des flots d’harmonie, ce fut une journée de fête. Le soir rentrant en voiture ensemble, au crepuscule, ns n’avons pas arrêté de chanter tout le long de la route.

Source : collections BDIC
(N.B. - La photo n'a pas été prise à Villersexel)

Aujourd’hui l’exercice a repris mais nous nous quittons peu et à table nous nous retrouvons heureux et bruyants, surtout il faut bien le dire quand le colonel [Adrien Perret] n’est pas là. Ce matin conversation très sérieuse sur la pureté. J’ai été étonné de voir combien elle avait d’admirateurs et même de champions parmi nous. Péchenart la défendait avec verve et l’aviateur avec simplicité.

Au revoir, Maman chérie, pardonne mon long silence.

Tendrement à toi
Jean

samedi 10 février 2018

vendredi 9 février 2018

jeudi 8 février 2018

mercredi 7 février 2018

Arpenans, 7 février 1918 – Jean à sa mère

7/2/18

Ma chère Maman

Je ne te gate pas tous ces jours-ci. Nous passons toutes nos journées dans le bled.

Hier matin Hervé [Leenhardt] est venu dejeuner avec nous. Il est très populaire à la popote. Il est vraiment spirituel.

Le soir c’est un petit aviateur qui était à notre table et qui sera des nôtres pendant quelques jours1. Nous nous sommes trouvés tout de suite en pays de connaissance. Nous nous étions rencontré chez les King2 pendant mon sejour à Avignon. C’était tout à fait un gosse. Il n’a d’ailleurs pas beaucoup changé. L’emploie du temps n’est pas en lui-même très folichon, mais nous nous entendons bien et c’est agréable de travailler ensemble.

Tendrement à toi Maman chérie
J. Médard
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1 Son nom était Ducamp (cf. lettre à venir du 12 février). La présence de cet aviateur semble coïncider avec la mention quotidienne dans le JMO du 132ème R.I., entre le 7 et le 14 février, de « service de liaison avec avion » ou « manœuvre avec troupes comportant un exercice de liaison entre l’infanterie et les avions ».
2 Madeleine Fournat de Brézenaud ép. King (1871-1967), une lointaine cousine du pasteur Lucien Benoît, le grand-père maternel de Jean, l’avait reçu à plusieurs reprises en janvier et février 1915 quand il suivait à Avignon une formation d’aspirant.

lundi 5 février 2018

Arpenans, 5 février 1918 – Jean à sa mère

5/2/17 [sic]
Arpenans

[Le mot "Arpenans" a été rajouté d'une autre encre, en diagonale en tête de la lettre, de la main de Jean.]

Maman chérie

Me voici au sein du 132. Ce n’est pas sans joie que j’ai rejoint le regiment. J’ai quitté l’infanterie ce matin ; je garde les meilleurs rapports avec tous ceux que j’y ai laissé, et j’emporte une très bonne impression du colonel [Camille Biesse]. J’ai pu profiter d’une auto pour rejoindre le patelin où cantonne le regiment. Je n’ai pas trouvé les choses aussi harmonieuses que je l’aurai rêvé. Il y a parfois des froissements entre le colonel [Adrien] Perret et son entourage, mais tout en voyant les faiblesses du milieu et en me rendant compte que tous les jours n’y seront pas tissés d’or et de lumière, je m’y sens « chez moi », c’est un peu l’impression d’arriver en permission – toutes proportions gardées d’ailleurs.

Il faudrait peut-être mieux que tu n’ailles pas à Marseille avant ma permission ; car cette dernière, je l’espère ne sera pas plus tard que du 20 au 30 [sic] Fevrier… Notre programme sera simplement retardé de quelques jours. Comme tu voudras. C’est tard. Je t’embrasse.

Jean

samedi 3 février 2018

Villersexel, 3 février 1918 – Jean à sa mère

3/2/18
Villersexel

[Le mot "Villersexel" a été rajouté d'une autre encre, en diagonale en tête de la lettre, de la main de Jean.]

Ma chère Maman

Je reçois ta lettre desolée. Il ne faut pas se mettre dans un état pareil pour un retard de quelques jours. Tu te plainds toujours que je ne te previens pas d’avance de mes permissions pour une fois que je croyais pouvoir le faire et que je l’ai fait, ça ne me reussit vraiment pas. Je n’ai rien à faire sentir au colonel [Adrien] Perret et en somme ce qu’il me demande est assez normal. Je ne le lui aurais pas proposé, mais je suis obligé de reconnaître que c’est juste.

Quand à l’offensive boche, le fait que je pourrais ne pas partir avant, etc, etc ce sont des soucis tout à fait gratuits.

Il fait toujours le temps le plus beau.

Je pense rejoindre demain le 132e.

Tendrement à toi
Jean