vendredi 3 novembre 2017

Willer-sur-Thur, 3 novembre 1917 – Jean à sa mère

3/11/17
            Maman chérie 

            Je reçois ta bonne lettre du 30. Tu desires voir la paix se faire sur le dos des Russes. J’avoue ne pas partager du tout ton desir. D’abord ce n’est pas très chic pour les Russes, puis ce serait preparer la Russie à devenir une province allemande, et Dieu nous garde de ça ! Quand à l’Italie, il ne faut pas désespérer si vite.
            Le colonel Maurel rentre ce soir !! Un retour beaucoup plus apprécié est celui des Scheurer. J’ai reçu un mot hier et à la nuit tombante je suis allé les voir. J’ai trouvé Madame [Marie Anne Dollfus épouse Scheurer] avec qui j’ai passé un agréable moment. Elle m’a donné des nouvelles très rassurantes de [Albert] Léo. Elle m’a parlé aussi avec finesse et bienveillance des gens qui pour montrer qu’ils sont « comme il faut », qu’ils appartiennent à un milieu social elevé, se croient obligés d’afficher des opinions reactionnaires, d’être raides avec les domestiques, etc. Ils sont si simples eux.
Ce matin j’ai dejeuné chez Jean Monnier. Il avait mis les petits pots dans les grands. Il y avait son frère [Henri Monnier], [Albert] Dartigue, [Maurice] Roth et un artilleur. On a parlé de choses et d’autres, de l’Italie – les deux frères connaissent justement très bien le pays où l’on se bat. Jean nous faisait part de quelques uns de ses souvenirs de captivité, de la vie des troupes Boches en cantonnement de repos, etc. Henri [Monnier] m’a dit tout le plaisir qu’il avait eu à faire ta connaissance.
            Maintenant je suis seul dans le grand bureau et les coups de téléphone interrompent souvent ma lettre. Le capitaine [Louis] de Ronseray est allé suivre un cours à Paris. Le capitaine [René] Récopé de Tilly est avec le colonel en secteur. Quignet est allé chercher en auto le colonel Maurel.
            Madou Armand est-elle encore pour quelques jours chez vous ? Je connais à peine son fiancé. La Méditerranée est-elle toujours aussi malsaine ?
            Je me fais soigner les dents. Ce n’est pas très amusant, mais c’est très nécessaire.
Tendrement à toi 

Jean 

            Ce soir je lis dans le Temps notre visite à l’Hartmann d’avant hier. [Le mot censuré (ou auto-censuré ?) est "Hartmann". Il s’agit en fait de l’Hartmannswillerkopf]

            Adresse demandée par Suzanne Kodak Place Vendôme Paris.