samedi 28 janvier 2017

Sète, 28 janvier 1917 – Mathilde à Jean

Villa de Suède le 28 Janvier 1917 

Mon aimé, 

Un petit mot ce matin avant de descendre au temple car je ne t’ai pas écrit hier. Descendue de bonne heure pour aller montrer à Berthe notre appartement que je n’ai pu lui monter n’ayant pu trouver les clés à l’endroit indiqué.
Ns avons fini l’après-midi chez tante Jenny [Scheydt] toujours le major Bec[1] bien interessant mais lorsqu’il a entrepris ses idées sur la guerre à venir je n’ai pas voulu entendre. Oui cela a bien le sentiment que cela va être pire que tout et le cœur fait mal.
Il faisait hier un temps de chien, des sommes rentrées et la nuit venue glacée sous des déluges d’eau et aujourd’hui il en est de même.
J’ai accepté pour aujourd’hui à déjeuner chez Mme Néri [née Jeanne Jalabert] son mari [Néri Julien] est mieux, mais ça ne va tout de même pas.
Suzanne Egg [née Schwebel] a du arriver hier. Je veux aussi aller la voir et peut-être veiller chez Mme Thomas-Mazel si sa pauvre fille n’a personne sous la main. Nous l’avons vue aussi hier bien désemparée.
Tout est triste lamentablement.
J’ai prtant bien des sujets de bénir Dieu.
Hier matin la visite de la belle-sœur de Mari [?], retour de Valenciennes avec ses trois gosses. Pauvres petits, tout les ahurit, les chiens, ils en ont peur, ils ne savent pas ce que c’est, on n’en voit plus là-bas. Cette femme pense qu’on ne les aura jamais par les armes ces [mot illisible] là. Ils sont bien les vainqueurs dit elle jusqu’à présent, mais par la famine c’est possible. Tout manque là-bas ; ils n’avaient plus que du riz comme nourriture, parfois quelques haricots, deux sous de lait par jour pr nourrir les enfants, pas d’éclairage. Mais du charbon plus que nous qui commençons à bien en manquer.
A Paris on gèle parait-il, il fait 10 degrés au dessous et peu de charbon. Et la guerre, la guerre. N’as-tu pas froid. Mais tant que tu peux faire du feu de bois. Que cela dure.
Je t’envoie mes tendresses.
Ta maman
            Rien de toi hier.


 
Théophile Bec
  
Théophile Bec est né le 24 décembre 1868 à Albi (Tarn) de François Bec (1825-1888), domestique, et de son épouse Rose Viguier (1835-1894).
Il accomplit une période de 4 mois d’exercices militaires de novembre 1890 à mars 1891, mais étant fils unique de veuve, il est dispensé du service et il passe dans la réserve en 1895 en tant que médecin aide-major de 2ème classe.
Il s’installe comme médecin à Bourgnounac (actuellement Mirandol-Bourgnounac, dans le Tarn), commune qui compte alors environ 2000 habitants. Le choix de cette bourgade ne s’est pas fait par hasard : sa famille était originaire de Pont-de-Cirou, un hameau à quelques kilomètres.
Le docteur Bec devient maire de Bourgnounac en 1898, alors qu’il n’a même pas encore ses trente ans. Il le restera jusqu’en 1908.
Il se marie le 25 septembre 1900, avec Alida Marie Pauline Ferret, 23 ans, dont le père est pharmacien à Albi.
Bec est mobilisé le 2 août 1914 au 342ème R.I. en tant que médecin aide-major. Le 20 août, le JMO du régiment mentionne la disparition de tout un groupe médical « médecin-major Jouffreau, médecin aide-major Bec, médecins-auxiliaires et infirmiers ». Les circonstances précises de leur disparition sont inexpliquées. « Tout porte à croire, dit le JMO, que personnel et matériel qui avaient quitté leur poste à l’Ouest de Bisping avant le repli du Régt, doivent leur disparition à une fausse direction prise ».
C’est dans ces circonstances que Théophile Bec est fait prisonnier. L’article 9 de la convention de Genève stipulant que les membres du service de santé ne pouvaient être traités en tant que prisonniers de guerre, il est rapatrié le 18 juillet 1915, et affecté au centre d’instruction des mitrailleurs à Frontignan (Hérault) le 27 août suivant.
Quelques mois plus tard, le 20 février 1916, Charles Martin, maire de Montirat, commune située à 7 km de Bourgnounac, communique aux membres de son conseil municipal la demande qu’il adresse au ministre de la guerre : La commune de Montirat étant la plus éloignée de Carmaux souffre beaucoup pour cause d'insuffisance de docteurs, les indigents en sont même totalement privés. Il serait donc urgent de demander à M. le ministre de la Guerre de vouloir bien renvoyer à Bourgnounac le docteur Bec qui est en ce moment mobilisé et affecté à Frontignan (Hérault).
Cette demande n’est visiblement pas prise en considération, puisque qu’un an plus tard, le 28 janvier 1917, le major Bec est toujours à Frontignan, comme en atteste cette lettre de Mathilde à son fils. Bien que ce soit la seule mention de Bec dans la correspondance, il avait visiblement déjà rencontré Mathilde et sa cousine Jenny Scheydt, et Mathilde avait parlé de lui à son fils, comme en atteste la formulation de la lettre « toujours le major Bec bien intéressant ».
Jenny Scheydt (1861-1943) était la belle-sœur d’Ernest Scheydt (1858-1929) lui-même médecin, et qui avait, comme Bec, été maire de sa commune (Sète, à 8 km de Frontignan). C’est sans doute par ce concours de circonstances que Mathilde, qui voyait fréquemment sa cousine, a rencontré le major Bec.
Théodore Bec décède à Albin le 28 février 1855, à l’âge de 86 ans.

Tous mes remerciements à J. P. Le Ridant et à Christian Dalbiès sans lesquels je n’aurais pu écrire cet article :
- J. P. Le Ridant, rédacteur d’Entre Viaur et Candour, http://montirat.centerblog.net/ un blog consacré à Montirat, a publié le 30 octobre 2016 le billet « Insuffisance de docteurs » qui m’a mise sur la piste du docteur Bec.
- Christian Dalbiès, en réponse à un second billet, a fait part des recherches approfondies qu’il a effectuées sur Théodore Bec : différents actes d’état-civil, sa fiche matricule, le JMO du 342ème R.I. m’ont ainsi permis de reconstituer son parcours.
 

[1] Voir encart.