jeudi 26 janvier 2017

Sète, 26 janvier 1917 – Mathilde à Jean

Villa de Suède le 26 Janvier 1917 

Une bien excellente lettre de toi ce soir ; elle m’a été un vrai réconfort ; elle est datée du 21 et est arrivée en pleine réunion de dames ; tes tantes Berthe, Jenny [Scheydt], Anna et ses filles qui ont été bien heureuses d’en avoir leur part. Tu as voulu me dédommager un peu de cette pénible attente de trois jours. Heureusement tu n’étais pas sur la ligne de feu. J’ai pu être plus patiente. Quel bonheur de sentir que tu as un camarade sympathique. Que tu es moins seul, que tu peux être entouré. Que tout est mieux maintenant pour toi. Que tes hommes sont menés comme tu l’aimes et le comprends. Su tu savais ce que c’est pour moi cette pensée apaisante.
Je ne voudrais pas que l’exemple G. [K.G. anonymisé par l’auteur du blog], Bourgeois ait quelque influence sur mon fils chéri, et qu’il fasse à ses dépens l’expérience du petit vin du père G. Vrai, ne t’a-t-il pas incommodé ? et qu’est-il arrivé à Bourgeois ?
Quelles sont les choses amusantes dites par ton commandant en te remettant ton diplôme de citations ? Peut-on enfin connaître cette dernière ?
J’ai été seule avec Na, cette après-midi, pr recevoir ces dames, du reste Berthe avait déjeuné avec nous de même le père [Paul] Corteel qui ayant fait cadeau hier d’un poisson a été invité à venir le manger.
Suzie, la brave, nous a quittées de bonne heure pour aller comme tous les jours soigner Mme Thomas-Mazel[1] qui a une congestion pulmonaire. La fille est au bureau, employée, très inexpérimentée sur les soins à donner aux malades, Suzie va soigner la mère avec dévouement et cela simplement, sans ostentation, elle est exquise dans ses sentiments de bonté et de charité. En voyant de près cette misère, ces soins insuffisants, elle a été en requête d’une aide. Elle s’est adressée pr cela aux petites sœurs des pauvres ; elle a attendu la supérieure en assistant à leur messe d’où elle est revenue toute heureuse. Très ravie aussi de son entretien avec cette femme au grand cœur compatissant qui lui a fait la plus grande impression. Cette dernière a mis une de ses aides à la disposition de ta sœur.
Pendant ce temps là, j’ai un peu plus à moi ma petite et ne m’en plains pas ; elle ns a amusées toute l’après midi par sa vivacité et ses discours à perte de vue – par ses sottises aussi. On a apporté pour le thé un royaume[2] où un petit rat avait touché à l’avance et elle ne montrait aucune contrition de son acte de gourmandise.
Excuse le décousu de ces lignes. Mr [Paul] Corteel est encore là ce soir, ces Messieurs parlent beaucoup et il fait trop froid pr que j’aille écrire ailleurs. Il fait froid, si froid. Ah ! comme je voudrais que l’hiver soit moins rude lorsque tu partiras.
Je te laisse ce soir pr remettre ces lignes à Mr [Paul] Corteel qui t’envoie son bon souvenir.
Suzie t’embrasse de tout son cœur. Hugo aussi et moi alors ! Je t’envoie le meilleur de moi-même. Hélas ce n’est pas grand-chose mais aime-moi quand même ainsi. 

Ta vieille maman

[1] Alphonsine Virginie Mazel, veuve Thomas (1853-1917). (Source : Archives départementales de l’Hérault en ligne.)
[2] Couronne des rois provençale.