mardi 17 janvier 2017

Le Pont, Saulchery (Aisne), 17 janvier 1917 – Jean à sa mère

17/1/17
            Maman chérie 

            Les peregrinations continuent.
            Hier matin nous avons quitté notre petit village [Saint-Agnan, dans l’Aisne] au petit jour et une longue marche nous a menés ici. Il fesait un temps froid et sec, un temps sur commande pour marcher, aussi nos 35 kil ont été avalés sans fatigue. Ici c’est à deux kil. de chez K.G. [anonymisé par l’auteur du blog], et hier soir j’étais deja attablé à sa table de famille. Le malheur c’est que ce sacré pays produit un très bon petit vin et de la très bonne eau-de-vie La coutume veut que chaque famille offre à K.G. – car il est très populaire – du vin et de l’eau-de-vie, et alors tu comprends…
            Famille de paysans très riches, qui continuent à vivre en paysans malgrès leur fortune. Brave gens d’ailleurs, et simples. Cordons de la bourse très serrés, sauf pour le fils, qui depense 20 fois plus que tout le reste de la famille réuni, malgré sa solde.
            Lui est très excité d’être chez lui, un peu gené de sortir sa famille, et surtout craignant que des camarades maladroits revelent à sa famille sa vie un peu tourmentée. Hier tout s’est très bien passé.
    Impossible de savoir s'il s'agit
de cette photo précise, mais c'est
la seule  que Jean possédait de
Daniel Loux jeune homme.
            J’ai été très bien reçu, je n’ai pas été trop maladroit, et lui n’était pas trop trop gris. J’ai couché chez des voisins. Ce matin nous sommes revenus tous deux à la compagnie. La neige était tombée très abondante pendant la nuit. La valée était toute blanche, et les arbres sur les collines d’un violet pale.
            Ici je ne suis pas mal installé. Maison vide d’habitants, un certain luxe, d’assez mauvais goût d’ailleurs, mais du confortable. Je t’écris installé dans une somptueuse salle à manger a vitraux ; j’ai allumé un petit feu qui me rotit le derrière.
            Loux vient de m’écrire une bien bonne lettre et de m’envoyer une bien bonne photo de lui.
            Merci pour ta bonne lettre du 11. Où en est le procès d’Hugo ? Et Suzie comment va-t-elle ?
            Très, très tendrement 

Jean