mercredi 27 juillet 2016

Chartèves, 27 juillet 1916 – Jean à sa mère

27-7-1916
            Maman cherie, 

            Il me tarde de savoir ce que tu vas faire. Même maintenant il serait peut être assez tôt. Mais je comprendrai très bien que ça n’ait pas pu s’arranger, ma lettre était si peu claire. Rappelle-toi Mme veuve Roland.
            Il commence à faire assez chaud, mais temperature supportable.
            J’ai reçu hier avec joie ta lettre du 23. J’espère que la fatigue de Suzon n’est pas inquiétante. Aller à Villefort avec tante Jeanne me semble une idée épatante.
            Figure-toi que le capitaine Rivals mon chef de bataillon, avec qui je prends tous mes repas, est le neveu authentique de Jean et Henri Monnier [des professeurs de la faculté de théologie], il a epousé la fille d’une de leurs sœurs. Ça m’a amusé de nous trouver ainsi en pays de connaissance.
Tendrement  

Jean

mardi 26 juillet 2016

Chartèves, 26 juillet 1916 – Jean à sa mère

26-7-1916
            Maman cherie, 

            L’emploi du temps de ma journée ici : 5 heures : Reveil. Lever. Chocolat. 6 heures, depart pour l’exercice : marche, tir, manœuvres, retour à 10 heures. Rassemblement de la Cie. Dejeuner qui traine en longueur. De 2 heures à 4, exercice. Puis generalement repos, thé chez [Edouard] Gétaz ou champagne ds une autre popote jusqu’à 7 heures. Diner. Coucher.
            Je commence heureusement à reprendre contact avec mes poilus malgrès la longueur des heures de repas, et quoique je ne sois pas avec ma section aux heures d’exercice. En somme l’état d’esprit a peu changé. En général de très braves garçons ; quelques uns rouspètent bien, mais ils font quand même ce qu’on leur demande. Ce sont parfois ceux qui rouspètent le + qui sont les plus surs. Quand même jeunesse et gaité de simples. Fatalisme. Ils vivent au jour le jour comme les oiseaux et les fleurs.
Je vous embrasse très tendrement. 

Jean

lundi 25 juillet 2016

Chartèves, 25 juillet 1916 – Jean à sa mère

25-7-1916
            Maman cherie, 

            Rien de neuf. Si tu te decides à venir viens tout de suite. Si tu ne peux être ici au moins pour Dimanche [30 juillet] peut être tu nous manquerais.
            Je ne crois pas que ce soit difficile d’arriver jusqu’ici.
Tendrement  

Jean

dimanche 24 juillet 2016

Chartèves, 24 juillet 1916 – Jean à sa mère

24-7-1916
            Maman cherie, 

            Ma permission ne pouvant vraisemblablement se déclancher avant 20 jours d’ici, choisis :
            ou bien pars tout de suite pour la montagne avec la petite.
            ou bien viens me voir ici.
            Il n’est pas sur que j’y sois encore quand tu y arriveras, et alors argent et illusions perdus ; mais qui ne risque rien n’a rien. Si tu te decides à venir voilà ce qu’il faut faire.
            Nous sommes à Chartèves, sur la Marne, à 10 kil à l’est de Château-Thierry. Ns sommes encore dans la zone des armées, mais separés de la zone de l’interieur par la Marne seulement.
            A Paris tu demandes au commissaire de police un laisser passer pour Château-Thierry ; si on te demande q. chose tu vas voir ta cousine Mme Ganthier.
 
Source : Notre Famille
          
A la gare de Château-Thierry tu demandes au commissaire un laisser passer pour Mézy qui est encore dans la zone de l’intérieur. Il te l’accorde facilement (Ta cousine était à Mezy alors que tu pensais la trouver à Château) De Mezy, si je ne suis pas parvenu à l’avance, tu me fais savoir ton arrivée par n’importe qui, un employé de la gare, un gamin, etc. Là je m’arrangerai pour te faire passer le pont. Tu n’es plus qu’à 2 kil de Chartèves. Si tu ne peux pas aller plus loin que Château-Thierry, tu m’envoies de là un message et je tâcherai de t’accrocher.
            Si tu as de l’arrêt à Paris tache de voir Mlle [Léo] Viguier 14 rue de Trévise, ou Mme [Suzanne] Monnier, 83 bd Arago. Elles y sont peut-être encore et elles t’aideront. Naturellement si tu connais d’assez grosses legumes pour venir directement à Chartèves fais-le. Si tu veux me faire savoir q. chose de Mezy ou de Château ecris plutôt à Mme Vve Rolland, chez qui je loge.
            Un moyen encore plus simple me dit-on à l’instant c’est de prendre une voiture directement de Château-Thierry ici.
            Tu verras. Si tu ne te sens pas le courage d’affronter toutes ces difficultés. Ne viens pas je le comprendrai trop bien.
            D’une part je ne sais pas du tout quand j’aurai ma permission, mais d’autre part je ne sais pas du tout si quand tu seras arrivée, moi je ne serai pas parti. Si tu agis, agis donc vite.
Tendrement  

Jean
 
            Ici il me sera très facile de te loger.

Chartèves, 24 juillet 1916 – Jean à sa mère

24-7-1916
            Maman cherie, 

            J’ai trop sommeil aujourd’hui pour t’en dire bien long. Nous venons de faire une courte marche et ns sommes levés bien tôt. Ma citation – à l’ordre de la division – est enfin officielle.
            Nous avons touché un nouveau chef de bataillon en remplacement du Cdt Girard. C’est un capitaine de tirailleurs. Il prend aussi ses repas avec nous, est gai et très bavard. On continue à beaucoup manger et beaucoup boire à la popote. J’en suis d’autant plus honteux que je suis en ma qualité de + jeune « le chef de popote » c’est-à-dire la maitresse de maison, je fais les menus, compte avec les cuisiniers, envoie les cyclistes au ravitaillement à la ville voisine, etc.
            Je t’embrasse.
Jean
 
 

Eté 1916 – Le 132ème R.I. au repos


C’est là [à Chartèves] que nous rejoint notre nouveau chef de bataillon, le commandant Rivals, un homme vif, amusant, intelligent et droit. La popote est devenue très gaie. Le régiment tout entier est d’ailleurs dans une période d’euphorie. Le pays est charmant, les sombres  jours de Verdun sont derrière nous, on ne veut pas trop penser aux nouveaux « coups durs » qui nous attendent. Il semble qu’ils soient encore lointains et que nous soyons entrés dans une vraie période de détente. On organise des fêtes. On a déniché un chanteur qui est devenu la grande vedette. Son répertoire est d’un goût douteux, mais il ne manque pas de talent. Souvent aussi la musique du régiment donne des concerts, les marches militaires retentissent « Le régiment de Sambre et Meuse », « Les enfants de la Lorraine », « Le 132 est un bon régiment ». On oublie les malheurs de la guerre et on se laisse griser par ces fanfares endiablées. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

Ambulance 16/XX S.P. 62, 24 juillet 1916 – Camarade non identifié à Jean

Ambulance 16/XX S.P.62
Le 24 juillet 1916
5 h matin
            Mon cher ami 

            Ton mot du 11 m’a fait grand plaisir : je te sais sorti sans dommage de l’enfer de Verdun.
            Je connais aussi ce sentiment dont tu me parles et que tu exprimes par ces mots « Je ne suis pas mort, vive la Vie ». C’est terrible de voir comme il se lit dans toutes ses physionomies quand on sort d’un sale endroit. J’ai vu cela au Labyrinthe, quand après des périodes dures, la relève arrivée, les boyaux parcourus, on se retrouvait sur une route en ligne déployée sur deux rangs. On était peu, on regardait à droite et gauche, on constatait les absences. Et déguenillés, sales, épuises, tout le monde pensait que l’important était sauvegardé. Les autres disparus oui ! mais moi, je suis là. Et personne n’était là pour tenir le propos opposé, puisque les morts n’étaient pas là. Et cependant…
            Il est curieux de voir comme dans ces questions l’homme se met hors cause. « Ça » ne peut pas lui arriver, « ça » ne devait pas lui arriver. Si X est mort, c’est que… Etc.
            Presque tous sont persuadés qu’ils en reviendront, ils croient à un déterminisme spécial, Et cependant ils confessent que dans chaque engagement dangereux on perdra 50 % de l’effectif. On dirait que ces 50 % ne seront pas prélevés sur les 100 % existants à la Cie !
            Le vouloir-vivre est si violent en nous qu’on arrive même à ne pas vouloir s’attacher à la pensée de ceux qui ont été tués et des circonstances de leur mort. Je ne sais pas si tu es comme moi. Mais dans ce vouloir vivre qui se manifeste en nous là-bas dans les heures terribles, grossi à la loupe, je sens quelque chose de brutal, de bestial. Ce n’est pas comme dans la bonne société du temps de Paix : c’est tout crû. On frissonne à penser que l’humanité se cramponne pareillement à la vie. C’est un mystère. Car en définitive ce vouloir vivre dans la vie normale est indispensable. Il n’aboutit même pas forcément à la compétition à la concurrence chez des hommes frottés d’un peu d’Evangile.
            Tu te demandes si j’ai un travail ingrat. Non mon cher petit, pas du tout. J’ai pour le moment la bonne part. Je remplis mon devoir très humble que mon Sauveur eut aimé parce qu’il plaçait dans le « service » en plus haute prérogative humaine. Je suis infirmier en salle, c à d que je m’occupe de tous les soins aux blessés, à l’exclusion (ou à peu près) de ce qui concerne les blessures

[Fin du feuillet, feuillet suivant manquant, ce qui ne permet pas d’identifier l’auteur de cette lettre, très certainement un camarade de la faculté de théologie ou de la Fédé. (Il ne s'agit pas d'Albert Léo, ce n'est pas son écriture.)]

samedi 23 juillet 2016

Chartèves, 23 juillet 1916 – Jean à sa mère

23-7-1916
            Maman cherie, 

            J’ai reçu hier ta bonne lettre du 19 et l’argent Tant mieux si mes dernières lettres vous ont interessé. C’est que j’avais au moins du nouveau à vous raconter. [Jean] Favatier n’est pas embusqué comme tu as l’air de le croire. Il dirige simplement un cours d’instruction lorsque la division est au repos, ou qu’elle ne fait pas de travail très actif. Autrement il est capitaine adjudant major du 2e bat. du 106e.
            [Roger de] La Morinerie est ss-lieut., depuis 2 ou 3 mois déjà ; je croyais te l’avoir dit. Je le vois beaucoup car ns sommes ds le même bataillon.
            En effet comme officier je suis entrainé à beaucoup plus de depenses que ce que je voudrais. C’est surtout ruineux de faire partie de la popote du chef de bataillon, car on ne s’y plaind rien, ni comme nourriture, ni comme boisson, ni comme cigares.
            Hier le capitaine Baudin m’a amené avec lui à Ch.-Th. [Château-Thierry] la ville voisine. Cette promenade m’a servi de leçon d’équitation. Je m’en suis tiré sans incidents, le cheval que je montais étant très sage. Au retour, comme par hasard on a bu du champagne avec les autres officiers du bataillon. L’argent était attendu avec impatience, je te le renverrai dès que j’aurai touché mes indemnités et ma solde.
            Tes jambes te font-elles toujours souffrir.
            Nous jouissons toujours du beau pays, et du beau temps.
            T’ai-je parlé des fiançailles de [Albert] Mercier avec Melle Marguerite Conord. Je continue à voir beaucoup Gétaz. Bonnes nouvelles de Mlle [Léo] Viguier, [Daniel] Loux, [Albert] Léo, etc. Je reçois aussi des lettres angoissées de parents qui ne savent rien de leurs enfants depuis les jours terribles, ou qui savent et ne peuvent pas croire et demandent des détails.
Très tendrement à vous tous 

Jean

vendredi 22 juillet 2016

Chartèves, 22 juillet 1916 – Jean à sa mère

22-7-1916
            Maman cherie, 

            Je ne t’ai pas écrit hier. Longs exercices, puis j’étais de jours ; les repas se prolongent indéfiniment avec du champagne à cause de nouvelles nominations, qui s’arrosent toujours. G. vient d’être nommé lieutenant, et depuis il est encore plus excité.
            J’ai oublié de t’annoncer q. chose d’important : les fiançailles de [Albert] Mercier avec Mlle Marguerite Conord de Marseille. Il m’a annoncé ça il y a quelques jours. Je ne m’y attendais pas du tout. [Edouard] Gétaz me dit que cette jeune fille est charmante.
            De moi rien de nouveau : ma citation est officielle et accompagnée, sois en sure, de beaucoup d’autres.
            Ce pays est délicieux. Ce serait le paradis si l’on était pas en guerre et s’il n’y avait pas de separation. Une vallée majestueuse, riche, verte, beau village, population acceuillante. La bataille de la Marne a laissé des ruines plus au sud. De l’avis de tous, jamais le 132e n’a été aussi bien.
            Tante Fanny m’a envoyé hier encore une bonne lettre avec de l’argent. Je suis quand même à sec car je suis obligé tous ces jours-ci de mener grand train sans un sou, mais d’après ta lettre ton argent va arriver, merci d’avance car j’ai reçu tes bonnes lettres des 16 et 17.
            En même temps un mot de Mlle [Léo] Viguier, la lettre de tante Fanny, un de mes hommes blessé qui me donne de ses nouvelles ; et des parents sans nouvelles, les parents de mon ancien ordonnance qui me demande ce qu’est devenu leur fils. Je n’ose pas leur repondre.
Très tendrement toujours 

Jean

mercredi 20 juillet 2016

Eté 1916 – Toussaint et le capitaine

 
Je fais popote avec les officiers de la compagnie et le capitaine Baudin, qui fait fonction de chef de bataillon depuis que le commandant Girard a été fait prisonnier avec le 54. Girard était populaire, Baudin ne l’est pas. Il a travaillé avant la guerre pour le 2ème bureau en Allemagne et il a pris les manières raides et froides d’un officier prussien. Je n’ai pas personnellement à me plaindre de lui. C’est lui qui m’a proposé pour cette citation. Il me donne lui-même des leçons d’équitation : « Un officier doit savoir monter à cheval ».
 
         Source : Archives départementales des Ardennes

Agent de liaison qui a fait preuve pendant l’engagement
du plus bel esprit de courage le 16 Juillet 1917, n’a pas
hésité à porter [mot illisible] en lignes sous un feu
violent donnant ainsi à tous un magnifique exemple.

Croix de guerre avec étoile de bronze
      Malheureusement il a eu pendant mon absence une altercation avec Toussaint. Il lui a flanqué huit jours de prison et n’admet pas que je le prenne comme ordonnance. Toussaint est le genre d’homme qui supporte mal l’autorité telle que l’exerce le capitaine. A la suite de je ne sais quelle histoire  Baudin lui a donné un coup de pied dans le derrière, à quoi Toussaint a répliqué : « Mon capitaine, ma famille est sous la botte allemande et moi sous la française ».    
         Cette hostilité aurait pu finir par amener Toussaint en conseil de guerre, si le commandant Rivals qui devait prendre après le commandement du bataillon n’avait compris tout de suite à qui il avait à faire. Plus tard lorsque le capitaine Baudin aura été blessé et évacué, il prendra Toussaint dans l’équipe d’agents de liaison, où ce dernier donnera toute sa mesure.
Je prends comme ordonnance un paysan du Vaucluse, Ouvier, un ancien « écusson jaune » un petit méridional maigre avec une figure de vieille femme et un accent bien tassé. Il sera pour moi jusqu’à la démobilisation le dévouement personnifié. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)
 
 

 
Albert Jules Charles Toussaint (1890-1918)
 
Toussaint est évoqué à plusieurs reprises dans les mémoires de Jean Médard, en particulier :
- le 16 juin 1916 (les deux derniers paragraphes) ;
- le 20 juin 1916 (troisième paragraphe).
                Mais les indices concernant son identité sont minces : son prénom, en particulier, n’est jamais mentionné. Heureusement, Jean Médard a noté sur son carnet le nom de la commune d’origine de Toussaint : Haybes, dans les Ardennes.
 
Cette indication permet de remonter le fil, grâce à l’arbre de Dominique Paulus, en ligne sur Généanet :
 
Grâce à cela, on retrouve facilement son registre matricule :
 
             Après ces souvenirs de l’été 1916, jamais plus Jean ne mentionnera Toussaint, que ce soit dans la correspondance ou dans les mémoires. Sans doute n’a-t-il jamais su ce qu’il était advenu de lui.
Sa fiche matricule indique qu’il a été placé en « sursis d’appel » le 2 octobre 1917 « au titre des mines du Blaymard », c'est-à-dire affecté à un poste où ses compétences professionnelles étaient nécessaires.
 

      Toussaint est mort de "maladie indéterminée étant en sursis", comme trois autres de ses camarades également en sursis d'appel au titre des mines du Bleymard. Ces quatre décès de maladie, survenant dans un laps de temps très court, entre le 20 et le 30 octobre 1918, peuvent suggérer des cas de grippe espagnole (voir http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/autre/sursis-mines-bleymard-sujet_14615_1.htm).

 

mardi 19 juillet 2016

Chartèves, 19 juillet 1916 – Jean à sa mère

19-7-1916
            Maman cherie, 

            C’est toujours le repos, dans un pays délicieux, dans un village  bien plus agréable encore que tous ceux que nous avons fait jusqu’à maintenant.
            A l’heure qu’il est moins de 100 kil. me separent de Suzon. Si c’était le temps de paix, si l’on savait l’adresse l’un de l’autre, si l’on pouvait telephoner, si l’on était pas séparé par les barrières de la zone des armées une demie journée suffirait pour se rejoindre passer quelques heures ensemble et retourner chacun à ses affaires.
            Je ne voudrais pas te donner de fausses joies, mais je ne perds pas tout espoir d’avoir ma permission avant le prochain « coup dur ». Nous sommes encore au repos, nous ne sommes pas absolument reformés, et il n’est pas dit que lorsque nous reprendrons le travail ce soit tout de suite pour de violents combats.
            Enfin ! Attendons et esperons.
            Je viens de recevoir ta bonne lettre du 15. Tu dois être seule en ce moment. Comme je me rejouis pour Suzon de ce moment de délassement.
            Ma nomination d’officier transforme un peu ma vie, naturellement.
            Je vis avec les « huiles grasses » ou si tu prefères avec les « grosses légumes », faisant popote avec mon chef de bataillon, le capitaine Baudin. Il était capitaine adjudant major, et il est passé chef de bataillon, depuis que notre commandant a disparu à Verdun. Nous sommes assez bien ensemble, mais avant-hier nous avons eu une petite prise de bec au sujet d’un homme de ma section qui est un peu « tête brulée » –  mon ancien ordonnance, que j’aime beaucoup, qu’il ne peut pas sentir et qu il a puni pendant que j’étais au cours divisionnaire. Il est vrai qu’il était un peu de mauvaise humeur ce jour et il avait quelques raisons pour ça. Je fais très bon ménage avec lui, et avec tous les autres membres de la popote, savoir Ss-lieut G., commandant la 5ème Cie, Ss-lieut Millière (5e Cie) assez insignifiant, ancien ss-off d’active, Docteur Bourgeaud, très sympathique et gai, Ss-lieutenant Soula, etc.
            Hier matin nous avons quitté sans aucun regrets la Meuse, quelques heures de marche, quelques heures de chemin de fer nous nous avons echoué de nuit ds ce charmant et acceuillant village.
            J’ai une chambre somptueuse, immense, un lit à deux places, tout le confort moderne. Ce n’est plus la guerre. Ce que je regrette c’est mon ordonnance Toussaint, j’ai du m’en separer à cause de sa punition et de l’antipathie du capitaine Baudin ; il est remplacé par un Meridional, pas très fort, mais très dévoué et qui m’aime assez, étant venu au front la 1ère fois avec moi, ds le renfort du 58ème [Ouvier].
Tendrement, très tendrement à toi 

Jean

lundi 18 juillet 2016

Sète, 18 juillet 1916 – Mathilde à son fils

Villa de Suède ce 18 Juillet 1916 

            C’est évidemment une vie bien différente de celle aux jours noirs que tu as connus il y a si peu de temps mais j en suis heureuse, heureuse. Je voudrais seulement que tu ne prennes pas trop goût au Champagne ! attention. Je cours vite en ville chercher de l’argent et l’expédier ; je n’ai pas eu un instant de la journée. Tante Anna m’attendait et il m’a été impossible d’y aller. « Na » est très sage en ce qu’elle ne fait pas la moindre scène ni entendre le moindre pleur mais il faut la surveiller tout le temps comme le lait sur le feu. Elle a fait le petit âne tout le jour, hi ha hi ha et des baisers passionnés à oncle Jean avec sa petite main. Je lui fais néanmoins mener une vie très calme car elle est effrayante. Son sommeil est agité de rêves ! elle pleure doucement sur quelque chagrin de rêve, puis elle se jette de droite à gauche, va jeter ses pieds à sa tete ; se lève, recouche – dans la journée le sommeil est calmé. Il faut veiller.
            Tante Anna me prie de te dire que les plus jolis et solides costumes d’officiers se trouvent à la « Belle Jardinière » à Paris. Lucien [Benoît] s’est acheté là un costume en drap très léger qui équivaut à la toile.
            Bien vite car je cours à la poste.
            Tendresses infiniment tendres.

Juillet 1916 – De la Meuse à Chartèves


                 Le 18 [juillet] nous quittons la Meuse. Nous embarquons près de St-Dizier et, descendant la vallée de la Marne, le train nous amène à Chartèves, près de Château-Thierry tandis que les deux autres bataillons du régiment sont cantonnés à Mont-St-Père.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

dimanche 17 juillet 2016

Sète, 17 juillet 1916 – Mathilde à son fils

Villa de Suède le 17 Juillet 1916 

            Mon bien aimé petit sous-lieutenant. C’est à ce moment même que je reçois ta carte du 12 me disant qu’il pleut toujours. Nous etouffons ici le siroco souffle affreusement mais dans notre bout de jardin c’est supportable.
            Par le même courrier n’ayant rien reçu hier j’ai ta lettre du 14 bien intéressante. Comme je voudrais être la première à te donner l’accolade ! Je suis contente bien contente pour toi à bien des points de vue. Du reste cela t’était du depuis longtemps mon grand chéri et tu vas avoir un peu de galette c’est ce que j’y vois de plus clair. Puis mon orgueil de mère y trouve son compte. Mais va si venue l’heure de la permission j’aurais été aussi fière de me pendre au bras de mon aspirant qu’a celui de mon  s-lieutenant. Le tout est d’avoir ton cher visage à embrasser, de pouvoir t’étreindre contre mon cœur.
            Je suis donc seule jusqu’à Mercredi. Je ne leur dirais qu’alors ta nomination. Je ne quitte « Na » que pour aller dîner chez tante Anna à côté, à la baraquette Frisch. Tante Jenny doit y être arrivée de ce matin ; pauvre femme comme il est dur de revenir dans un logis solitaire[1], sans bonne Isabelle ne revenant pas tante Anna l’a recueillie, jusqu’à ce que la maison soit en état.
            Je suis heureuse que tu restes au 132 dans ta Cie bien qu elle soit bouleversée. Cela doit te faire plaisir. Dès demain matin je t’enverrai de l’argent et tes souliers. J’ai  su trop tard ce soir pr aller à la banque chercher de l’argent, Hugo n’étant pas là.
            Ces lignes doivent partir. Comme je suis contente que tu sois un peu en fête. Qui est ton chef de Cie, n’est-il pas aimable ?
            Mille baisers de ta maman bien contente ce soir.

[1] Son mari, Charles Scheydt, était mort en décembre 1915.

De retour au 132ème R.I., 17 juillet 1916 – Jean à sa mère

17-7-1916
            Maman cherie, 

            Je rejoins aujourd’hui le 132e. Ns allons repartir pour une direction inconnue, mais probablement pas pour nous battre, pour le moment. Donc il n’y a pas à s’inquiéter.
            Reçu tes bonnes lettres des 11 et 13. Oui ma permission pourrait tomber courant d’Août, mais impossible de le savoir à l’avance ; ne vous occupez donc pas de moi avertissez moi seulement longtemps à l’avance des dates de depart et de retour, pour que je puisse demander ma permission pour tel ou tel endroit en conséquence. Evidemment, j’aimerais mieux la maison, mais vous ne pouvez pas bouleverser vos vacances pour q. chose d’aussi problématique.
Tendrement 

Jean

samedi 16 juillet 2016

Eté 1916 – Officier


Eté 16. C’est donc comme officier que je rejoins le 17 Juillet mon régiment. Je reste affecté à la même compagnie, où les survivants sont noyés parmi les nouveaux venus, divers renforts et les jeunes de la classe 16. Elle est maintenant commandée par K. et ne sera plus jamais ce qu’elle était autrefois.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

vendredi 15 juillet 2016

Peloton d’instruction divisionnaire, 15 juillet 1916 – Jean à sa mère

15-7-1916
            Maman cherie, 

            Hier soir je me suis donc rendu au repas auquel j’étais invité par un velo de fortune. Sales routes, boue. J’ai éclaté. Au 132e j’ai été on ne peut mieux reçu.
            Presque tous les poilus de la Cie que j’ai vu m’ont dit des choses gentilles qu’ils étaient contents que je passe ss-lieut. et surtout que je reste à la compagnie. Ça m’a d’autant plus touché qu’ils ne sont pas très expensifs d’ordinaire. Presque tous les officiers du bataillon étaient allé à cheval à la ville voisine. Ils sont rentré tard. Nous nous sommes mis à table à 8 h ½ et ns en sommes sortis à 1 h. C’était assez gai. Je ne puis bien te les présenter tous. Quelques uns : Le capitaine Baudin, qui commande le bataillon depuis le retour de Verdun. Il n’est pas aussi aimé que son prédecesseur le commandant Girard. La succession est difficile, car ce dernier était un bon chef et ds l’intimité extremement amusant et agreable. Baudin lui est assez froid, sec ; sa gaité sans sonner faux ne coule pas de source.
            J’ai du te parler aussi de G., le ss-lieut qui commande actuellement la Cie. Il n’est pas mauvais type, ni bête, mais absolument détraqué et beaucoup trop souvent ivre. Nous sommes en très bons termes. Un grand gosse.
            Le Médecin, petit, laid, spirituel, courageux.
            [Roger de] La Morinerie dont je t’ai parlé souvent.
            Combemale, ss-lieut, commandant une Cie voisine. Le type le plus interessant de la bande. Beaucoup de distinction, grosse fortune. Vie intense, toute faite de voyage et d’aventures. Il a acheté au Chili d’immenses terrains, il y a fait naître des villages ; c’est un type. La suite au prochain numéro.
            J’ai dormi 3 heures. Je me suis levé à 4 heures pour rentrer ici pour l’exercice. A midi dejeuner avec le capitaine, commandant le peloton d’instruction et les sous-lieut. instructeurs. Toujours très gai. Le capitaine est un type très sympathique, jeune, agréable, Figure-toi qu’il est à moitié Cettois, cousin des Chavanes, des Gaffinel, des Frank. Je me suis rappelé depuis que son nom revenait souvent ds les conversations de jeunes filles chez les Gourguet : Jean Favatier. Suzon se rappelera peut-être, et Madeleine [Benoît] en tout cas.
            Toute l’après-midi j’ai dormi, car ce soir ns avons exercice de nuit.
            Je ne sors pas des bombes. Depuis 2 jours je bois du champagne à tous les repas. Hier matin champagne gouvernemental. Le soir champagne au bataillon Ce matin champagne à la popote des instructeurs. Ce soir c’est moi et un nouveau promu qui en offrons à notre popote de chefs de section.
            Tu vois que nous menons une vie de patachon.
                                                                                                                  
Tendrement
Jean

jeudi 14 juillet 2016

Peloton d’instruction divisionnaire, 14 juillet 1916 – Jean à sa mère

14-7-1916
            Maman chérie, 

            Nous rentrons de la classique revue du 14 Juillet, qui nous a « dematiné » un peu et qui s’est fort bien passée.
            Le gouvernement a été très genéreux et nous a offert champagne, cigares, etc.
            Hier j’ai appris ma nomination de ss-lieutenant, qui n’a pas été une surprise, puisque depuis pas mal de temps j’etais le premier à passer, au bataillon. Je ne change ni de régiment, ni de compagnie, ce qui est très appreciable ; non pas que je tienne spécialement à mon commandant de Cie, mais je garde ma section, c’est l’essentiel. Voilà.
Fiche matricule de Jean Médard
            Je ne toucherai ma solde et mon indemnité qu’à la fin du mois. D’ici là il me faudra « arroser » mes galons bon nombre de fois. C’est la tradition. Aussi je te demanderai de m’envoyer le plus vite possible une centaine de frs, pour les premiers frais, et même 200 si tu le peux, ds le cas où j’aurais l’occasion de m’acheter une tenue. Je te les rembourserai très vite, puisque je toucherai à la fin du mois près de 1100 frs. Tu vois que je fais du « chiquet ».
            Gétaz n’est malheureusement pas nommé. Il a, comme moi, le tord d’être resté longtemps loin du front. Car pour moi je passe tout à fait à l’ancienneté. Je suis nommé en même temps que des aspirants de la classe 16.
            Ce soir je suis invité à diner par le chef du 2ème bataillon, le capitaine Baudin, ainsi que tous les officiers du Bataillon, au village où cantonne le 132e.
            Demain matin, je suis invité par le capitaine commandant le peloton d’instruction.
            Tu vois que je deviens très mondain Aussi je te demanderai de m’envoyer le + tôt possible mes souliers de ville – ceux du mariage de Lucien – que je t’avais demandé, je crois.
            Je ne crois pas que le peloton dure beaucoup plus de 3 ou 4 jours encore. Que te dire de plus ? Je me reserve pour le jour de la permission, qui viendra peut-être tout de même.
Très tendrement à tous 

Jean 

            Reçu une lettre un peu triste de [Daniel] Loux ; une de [René] Cera, le peintre, qui a quitté l’hopital et rejoint de depôt de Marseille après une courte permission.

mercredi 13 juillet 2016

Peloton d’instruction divisionnaire, 13 juillet 1916 – Jean à sa mère

13-7-1916
            Maman chérie, 

            Je crois que j’épuise ta curiosité dans ma dernière lettre. Rien à ajouter. Il continue à pleuvoir. Hier après-midi on a fait jouer une « fougasse » c’est-à-dire une forte charge de poudre recouverte de pierre, bourée et enterrée. On fait sauter le tout et ça rappelle les douces emotions du champ de bataille. Ici aussi j’ai une chambre et un lit, mais moins de receuillement qu’au 132e. Je partage le lit avec Gétaz et la chambre avec 2 ou 3 autres. Mais l’on est pas malheureux. Nous dessinons, ecrivons, lisons des vers, etc.
Très tendrement 

Jean

mardi 12 juillet 2016

Peloton d’instruction divisionnaire, 12 juillet 1916 – Jean à sa mère

12-7-1916
            Maman cherie, 

            Je reçois à l’instant tes lettres des 7 et 8, qui m’interessent bien.
            Régulièrement je reste 2 jours sans lettre, puis le 3ème jour, 7 ou 8 rappliquent à la fois.
            Tu trouves que je suis laconique. C’est un peu vrai. Mais le passé, j’aime mieux ne pas trop en parler. Le présent n’est pas très interessant, et le futur est toujours mysterieux.
            Je ne suis pas encore décoré ; mais ça viendra. Ne t’en fais pas.
            Je ne suis pas encore ss-lieutenant, mais ça viendra aussi. Je te dis ça viendra parceque mon chef de bataillon à l’air de me gober et c’est lui-même qui a insisté pour l’une et l’autre chose.
            Les paquets il ne faut pas t’en faire non plus. Avec le chocolat ns avons fait du chocolat cuit. Les boites de conserve ns les avons mangées comme hors d’œuvres, pour ne pas trop m’emcombrer, mais j’en ai gardé quelques uns en previsions d’autres coups durs.
            L’argent j’en ai bien assez, surtout depuis que j’ai reçu celui de Suzon.
            Je depense beaucoup au repos – il est difficile de faire autrement, mais je gagne près de 3 frs par jour et tante Fanny ne m’oublie pas.
            Si je suis nommé ss-lieut. je te ferai une delegation de solde, naturellement, mais comme on est entrainé à encore plus de frais, je serai peut-être obligé de te demander de temps en temps de l’argent. Je ne suis pas sur que la demi solde soit absolument suffisante.
            Demain ? ?
            Jusqu’à maintenant j’avais très peur que le regiment participe à une action + ou – vive avant que je puisse partir en permission.
            Mais maintenant je ne crois pas. J’ai l’impression que notre repos va finir bientôt, mais que ns prendrons un secteur un peu tranquille pendant quelque temps. Actuellement je ne pense qu’à ça : le revoir.
            Dis à Suzon que son pippermint est très bon et que très souvent ns ns sommes raffraichi avec ces jours-ci ; mais tout ça comme le reste se trouve ici et ds les villes voisines, où nos cyclistes vont quand ils veulent.
            Reçu une bonne lettre de [Albert] Léo toujours courageux, affectueux, solide. Carte de Mlle [Léo]Viguier. Elle fait tous les jours un peu mieux avec enthousiasme la découverte de [Daniel] Loux.
            Oncle Georges m’écrit aussi une bonne carte en reponse à un mot de moi lui donnant de mes nouvelles. Il ne pense pas rester bien longtemps encore ds sa brousse.
            Je te quitte. Je veux avant de me coucher faire une petite promenade. La campagne est belle à cette heure.
Très tendrement 

Jean