vendredi 9 décembre 2016

Front de Somme, 9 décembre 1916 – Jean à sa mère

9-12-16
            Maman cherie,

            Je viens de recevoir ta lettre  du 5. Je vois très bien votre vie. C’est bien dommage que vous ne trouviez pas d’appartement. A un pt de vue purement égoïste je ne m’en plainds pas parce que je m’attache beaucoup aux vieux murs et la Villa de Suède est déjà remplie de chers souvenirs. Par le même courrier une lettre de Mme Grauss [née Elisabeth Meyer]. Elle m’envoie de temps en temps quelques lignes sans fils et affectueuses, que je reçois avec beaucoup de plaisir. Il a plu toute la journée ce qui rend la vie très difficile aux troupes de 1ère ligne.
            Nous, nous avons recommencé notre travail quotidien. Pendant que mes poilus travaillent sous la surveillance du genie, je fais des visites, à droite et à gauche aux abris voisins un sergent du canon de 37, qui m’a parlé avec enthousiasme de la vie anglaise, à laquelle il avait gouté avant la guerre, puis je suis allé voir le medecin du premier bataillon « rapport à son poilu » et j’ai passé mon après-midi à regarder jouer aux cartes, en me chauffant les pieds.
            Je viens de diner avec G., comme chaque soir. Toujours le même ce pauvre G.
            Je suis rentré dans mon abri, où mes sergents font leur popote. Leur lard s’est mis à bruler et nous sommes envahis par une fumée suffocante. J’en tousse et j’en pleure.
            Tu te rappelles Gauthier, le coiffeur que l’ivresse avait endormi sur son banc à Chartèves, il vient d’être blessé, très légerement d’ailleurs. Le malheureux s’abruttit de + en +, et noie toujours plus son chagrin dans le vin.
A toi très tendrement

Jean