dimanche 4 décembre 2016

Front de Somme, 4 décembre 1916 – Jean à sa mère

4-12-16
            Maman chérie,

            Cette nuit je suis retourné à ma corvée de ravitaillement ds la nuit implacablement noire. On souhaitait ardemment la fusée eclairante pour éviter la flaque de boue ou le trou d’obus.
            Aujourd’hui j’ai retrouvé mon trou. Faux jour formé par un petit carré de ciel bleu, haut au dessus de ma tête, et une tremblotante bougie.
            J’ai tes lettres du 29 et du 30. En effet ces pauvres Winberg Auriol sont bien à plaindre… Tout cet espace entre Marcel Cabauton et les siens !
            Ne me parles pas de peau de bique et de tout le tremblement, que voudrais-tu que je fasse de ça ? Tu trouves peut-être que je ne suis pas assez poilu ? Dis toi bien que j’ai autant d’argent qu’il m’en faut et que tout peut arriver jusqu’ici.
            Ce matin j’ai mangé des huitres à mon dejeuner. Une fantaisie de G. Très chique la boutade d’Hugo mais ça ne m’étonne pas. Quel dommage qu’Hugo ne trouve pas une villa. Je comprend qu’il vous tarde de liquider cette question. Je ne puis pas te donner l’adresse du capitaine Baudin, je ne la connais pas. Il aurait été trepané une deuxième fois. Un nouveau capitaine adjudant major au bataillon ; je ne le connais pas encore.
            Des details sur ma vie, ma vie ds un trou ! Très beau temps aujourd’hui. Soleil et ciel de fête sur un paysage devasté. Quand je sors de mon trou panorama très étendu, lamentable. Un village dont il ne reste pas un pan de mur debout : de la brique pilée.
            C’est la sainte Barbe aujourd’hui et les artilleurs s’en donnent à cœur joie. Il y a d’autre cause que Ste Barbe, d’ailleurs : la pureté de l’atmosphère qui permet l’observation.
            Ronflements d’avions, qu’on avait pas entendus depuis longtemps. Les avions, contrairement aux humains, ronflent quand ils sont eveillés.
            Je lis aussi dans mon trou. Toute espèce de chose. Un bouquin de Balzac bizarre et profond, de la philosophie religieuse mise en roman. J’ai rouvert les 1rs livres de ma jeunesse, Alphonse Daudet.
            Numa Roumestan me donne le cafard. C’est tellement triste, Daudet, d’une tristesse tellement simple, si peu compliquée.
            Un mot de Mlle [Léo] Viguier m’apprend que René de Richemond [cousin éloigné] est au 54e, c’est-à-dire ds la même division que moi. J’aurai peut-être des occasions de le voir. Mot affectueux de Jean Lichtenstein qui se reprend à vivre. Je suis un peu las, mais pas demonté.
            Toute ma tendresse et tout mon amour.

Jean