lundi 7 novembre 2016

Front de Somme, 7 novembre 1916 – Jean à sa mère

7-11-16
            Maman chérie, 

            C’est mal de te laisser deux jours sans lettres. Moi-même je suis depuis quelques jours sans rien de toi. C’est purement la faute de la poste.
            Samedi soir je partais donc pour Paris. Le programme était tout tracé à l’avance par Mlle  [Léo] Viguier. En arrivant nous sommes allés au concert Touche où j’ai entendu de la vraie bonne musique, dont j’avais été sevré pendant si longtemps. J’ai couché rue de l’Echiquier où ces demoiselles m’ont offert leur chambre à donner.
            « Ces demoiselles », tu le sais je pense, sont outre Mlle [Léo] Viguier, Mlle Des Essarts, une salutiste tout à fait epatante, qui a renoncé à une grande fortune et s’est fait salutiste de catholique qu’elle était.
            Le lendemain matin je suis allé chez [Emile] Roulleau – j’avais promis d’y revenir – et j’y ai passé presque toute la matinée. On m’a fait dire et repeter tous les details que je pouvais connaître, montré des photos… De braves gens tout à fait calmes et dignes dans leur douleur.
            Je suis passé prendre Mlle [Léo] Viguier rue de Trévise et nous sommes partis ensemble pour Charenton où Charles Westphal nous avait invité à dejeuner. Il suit les cours d’élève aspirant à Joinville et était seul chez lui avec sa sœur et un ami de l’école. Les parents sont à Nice avec le plus jeune fils qui est serieusement malade.
            C’est un chic type ce Westphal, une nature delicate et sensible, très brillante aussi. Ns avons parlé de ce coin de Vaux où nous avons ramassé des totos l’un et l’autre, et qui est à la mode ces temps-ci.
            Nous sommes repartis Mlle [Léo] Viguier et moi par la rue de Vaugirard ou les après-midi du Dimanche ont recommencé et où l’on continue à rencontrer beaucoup de chers amis : Albert Meyer, en reforme temporaire de 9 mois qui essayait de passer une licence. Il s’occupe beaucoup et avec succès des lycéens. Alex. [Alexandre] de Faye, toujours le même, jeune, heureux de rire, et même de rire comme il vit parcequ’il se sent utile, J-B Couve, etc. etc.
            J’ai fini la journée en plein bohême : chez Suzanne de Dietrich. On dine où l’on peut, installé comme on peut, et on mange ce qu’on peut. Elle ne s’embarrasse pas du coté pratique de la vie, mais on est rudement bien chez elle tout de même parcequ’on se sent chez soi et parceque les nombreux hôtes qu’on y rencontre sont la simplicité et la bonté même. Comme par hasard j’y ai trouvé toutes les volontaires « females » de la federation. Et voilà. J’attends avec impatience le jour du depart pour le midi. 
   
          Hier soir j’ai appris par une decision du 132e que je suis cité à la brigade.

 
          Tendresses à tante Fanny et à toi

Jean