lundi 1 août 2016

Août 1916 – Mathilde chef de popote


La moindre permission ferait bien mieux mon affaire. Comme mon tour parait encore lointain, je propose à ma mère de venir me rejoindre. C’est aventureux, car nous risquons d’être partis lorsqu’elle arrivera. C’est irrégulier car je n’ai pas le droit de lui faire savoir où je suis et elle n’a pas le droit de pénétrer sans autorisation dans la zone des armées. Qui ne risque rien n’a rien.
Ma mère, aguerrie par son expédition à Verdun, est prête à  tout entreprendre pour me revoir. Elle débarque quelques jours plus tard à Mezy, de l’autre côté de la Marne, me fait avertir et je lui fais traverser le pont qui marque la limite de la zone. Je l’installe dans la maison que j’habite moi-même et où mon hôtesse lui a réservé une chambre. Nous étions séparés depuis sept ou huit mois.
Tout d’abord sa présence est clandestine, pas longtemps. Mon commandant, prévenu, loin de se fâcher ou même de fermer les yeux, me félicite de mon initiative et l’invite à partager nos repas. La voilà devenue chef de notre popote. Elle va connaître maintenant beaucoup de mes camarades. Sa grâce la rend sympathique à tous.
Le capitaine Baudin nous raconte quelques jours plus tard que, voyant le succès de ma manœuvre, il avait essayé de faire venir sa femme. Malheureusement pour lui, étant ancien agent du 2ème Bureau, sa correspondance était rigoureusement soumise à la censure et il n’a réussi qu’à se faire taper sur les doigts. Pour moi ces quinze jours passés près de ma mère sont déjà presque une permission, car on ne nous accable pas de service et d’exercice. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)