lundi 27 juin 2016

Sète, 27 juin 1916 – Mathilde à son fils

Villa de Suède ce 27 Juin 1916
            Mon Jean bien aimé 

            Comment t’exprimer ce qui vient de se passer en moi au reçu de ta carte du 21 ? Cela ne peut s’écrire. Tu lis dans mon âme, tu le comprends. Après avoir remercié celui qui écoute nos supplications et qui a fait encore bonne garde autour de toi j’ai vite écrit à tante Fanny qui s’inquiète bcoup aussi et qui ce matin m’avait écrit une bonne carte pr me faire reprendre courage, me disant que des gens de Marseille, les Gétaz, ayant un fils au 132 ne savaient rien depuis le 14. J’étais aussi effondrée que hier, mais à peine capable, même de prier. C’est la vieille Alice qui m’a apporté ton mot en chantant pr ne pas trop m’emotionner et je lis entre les lignes les souffrances sans nom qui ont été votre lot…
            Comment pouvez-vous supporter de pareilles choses ? Comme il me tarde d’avoir des détails ! Avez-vous reçu des provisions… avez-vous souffert de la soif ?
            Devez-vous retourner dans cet enfer ? et tu es peut être à nouveau à l’heure où je t’adresse ces lignes. Oh ! que Dieu ait encore pitié !
            Nous t’envoyons des paquets, mais hélas cela est long et tu n’as peut être pas encore le premier.
            Hier j’ai écrit à ton adjudant Lechanteux pr essayer de savoir et lui est blessé l’est-il gravement ? J’ai écrit aussi hier à Mlle Viguier elle me télégraphie à l’instant pr me donner de bonnes nouvelles. Comme elle est bonne ! Elle a donc eu des nouvelles avant moi : elle me dit qu’une lettre suit.
            Sais-tu que je suis restée quatorze jours sans rien savoir ? tu comprends j’étais au bout de mon courage. Oh ! mon Jean chéri que tu es un bien aimé ! Ta vie c’est la mienne. Dors mon chéri, repose toi si cela est possible. Repose ton courage dont tu as tant besoin.
            Nous vivons de toi ici et t’envoyons  tous nos tendresses. Bien des baisers : les plus doux que puisse faire une mère.
            Je ne sais si tu en es cause mais Alice se dessèche. Suzie bien brave la fait seconder  pour tous travaux. Elle ne fait plus que la cuisine.
            Na t’envoie un baiser.