mardi 14 juin 2016

Cannes, 14 juin 1916 – Mathilde à son fils

[Cette lettre concerne la mort de Marc Benoît (1862-1916), un des trois frères de Mathilde Médard. Berthe (Benoît, née Mazade) est la belle-sœur de Mathilde ; Fanny est sa sœur ; Axel  Busck est le mari de Fanny ; Jane est la fille d'Axel et de Fanny; Edouard Picard est le mari de Jane.]

Cannes 14 juin 1916
3 rue du Titien
            Mon bien aimé 

            Je ne sais ce que je t’ai écrit hier tellement j’étais troublée, anéantie, brisée par ce coup inattendu. J’avais tant espéré que Dieu me ferait la grâce de le revoir de l’embrasser et d’avoir l’assurance qu’il n’avait aucune amertume contre moi et cette douceur ne m’a pas été donnée. J’aurai toujours cette [mot illisible]  des regrets.
            Je t’enverrai demain quelques paroles recueillis précieusement à ses derniers moments elles te donneront une idée de la mort triomphante qu’il a faite. Mr Bonnefon[1] dit qu’il n’a jamais assisté à une fin pareille.
            Il a chanté des cantiques jusqu’au dernier moment. Il a dit que maman lui tendait les bras et que son sauveur l’avait pardonné et voulait le recevoir dans sa gloire ! Il faut voir aussi ce qu a été pr lui la famille de sa femme. C’est touchant.
            L’ensevelissement a lieu demain à 2 heures présidé par Mr Bonnefon qui a reçu toute sa confession et l’a aidé et soutenu jusqu’à la fin.
            Berthe insiste pr nous garder Fanny et moi jusqu’à Vendredi ou Samedi, je ne sais encore ce que nous ferons.
            Vraiment cette mort ne nous laisse que sentiments de douceur et de paix. Quel privilège de mourir ainsi. Quelle grâce Dieu lui a faite.
            Suzie m’a envoyé ta carte du 8. Je l’ai eue ce soir et suis heureuse de penser que tu étais encore dans ton village à ce moment là mais maintenant !
            Que ce coin de la côte azurée est beau ! Si je pouvais en jouir ! Fanny m’a fait un peu promener et elle veut me montrer un joli coin demain de bon matin.
            Nous allons ce soir attendre Axel à la gare avec tante. Picard qui est en congé à Marseille vient ainsi que Jane.
            Il faut partir pr la gare, je te laisse mon cher aimé pour ce soir en t’envoyant ma tendresse.
 
Ta maman bien triste.

[1] Henri Bonnefon (1862-après 1927). Pasteur de Cannes.