dimanche 19 juin 2016

19 juin 1916 - Verdun, en ligne

                Le 19 le bombardement continue à amenuiser l’effectif de la section. Nos provisions d’eau sont épuisées et sous l’ardent soleil de Juin, nous crevons de soif. Sans boisson le pain de guerre et le « singe » ne passent pas. Il parait que Jouan, un de mes hommes, a bu son urine.
            Le soir je suis chargé d’une mission avec Bocquet[1], l’un des sergents de la compagnie : à notre droite il y a une vaste zone déserte. Il faut essayer d’établir la liaison avec notre 1er bataillon qui est installé dans les mêmes conditions que nous au-delà de ce désert. Les indications sur les emplacements des lignes françaises ou allemandes sont inexistantes ; d’ailleurs, dans ce paysage lunaire nous manquons totalement de repaires. Nous marchons vers l’est [donc vers le fort de Vaux, repris par les Allemands au début du mois de juin] assez longtemps, sautant de trous en trous.
Source : collections BDIC
Une rafale nous sépare, Bouquet[1] et moi. Je ne retrouve plus mon compagnon que je n’ose pas appeler trop fort. Je continue donc ma mission seul. Un instant je crois avoir trouvé de ce que je cherche : une faible lueur sort de terre à quelques mètres de moi. Je pense aussitôt à une entrée d’abri ou à une lampe de poche dont l’éclat serait dissimulé par une toile de tente. Déception ! C’est seulement une lueur phosphorescente qui émane d’un cratère parfaitement vide, phénomène consécutif à l’explosion récente d’un obus.
Malgré les difficultés de la marche j’ai bien dû franchir maintenant trois cents mètres au moins et je n’ai toujours rien trouvé. Est-ce que le 1er bataillon est encore plus loin ? Est-ce que j’ai erré en arrière de ses positions ou entre les lignes ? Je ne sais. Je me décide à rentrer sans avoir pu établir la liaison recherchée. Le grand vide à notre droite n’est pas rassurant. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

[1] Dans le manuscrit des mémoires, le patronyme de ce sergent est clairement écrit Bocquet la première fois, et Bouquet quelques lignes plus loin. Jean Médard était souvent imprécis dans l'orthographe des noms propres.