samedi 18 juin 2016

18 juin 1916 - Verdun, en ligne



           Le 18 le bombardement redouble. Un seul obus bien placé tue cinq hommes de la section. Un des sergents est blessé, un autre tué, un petit Rémois, que nous appelions « le Gouri » (le gosse) [Clément Lefèvre]. Nous subissons en même temps une autre épreuve celle de la puanteur des cadavres d’hommes et de chevaux qui sont restés sur le terrain.
 
Carnet de Jean Médard

Le soir nous évacuons les blessés, nous communiquons avec notre nouveau commandant de compagnie. Celui-ci s’est réfugié ainsi que le chef de bataillon, son petit état-major, et les hommes de liaison dans un petit abri bétonné, le « P.C. batterie », qui faisait partie autrefois des défenses arrière du fort, non loin de nos trous. Ils s’y sont entassés. J’y reçois un ordre absurde qui émane sans aucun doute de notre ineffable colonel.
Source : JMO du 132ème R.I. - 17 juin 1916
Il s’agit de construire une tranchée en crémaillère à une cinquantaine de mètres en arrière des positions que nous occupons. Une tranchée en crémaillère ! alors que le bombardement ne cesse d’effacer sur des kilomètres carrés autour de nous tout ce qui peut ressembler à un ouvrage organisé, alors que les hommes sont épuisés par la fatigue et par la soif. Le commandant, qui a désigné deux sections pour cette tâche sait bien qu’il me transmet un ordre inexécutable.
 
Ce que nous pouvons faire c’est nous installer à l’emplacement indiqué, qui nous semble encore plus copieusement arrosé que celui où nous avons pourtant été si malmenés pendant deux jours. Je déménage donc avec ce qui reste de la section. Au moment où nous arrivons sur nos nouveaux emplacements nous sommes accueillis par des rafales de gros obus qui, heureusement, ne touchent personne. L’autre section se disperse et nous y restons seuls. Nous n’y aurons guère plus de pertes que les premiers jours et l’ordre reçu avec si peu d’enthousiasme nous a sans doute sauvé la vie à mes deux compagnons et à moi : à la place du premier trou que nous avions habité et aménagé nous avons trouvé le lendemain un beau cratère tout neuf. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)