vendredi 27 mai 2016

Sète, 27 et 28 mai 1916 – Mathilde à son fils

Cette, le 27 Mai 1916
            Mon grand fils chéri 

            Enfin enfin me voici de retour ; j’aspire au logis et tu te fais une idée de ma joie. Puis-je te l’avouer ? Suzie et Na m’attendaient à la gare et notre bijou m’a reconnue me faisant des tas de fêtes auxquelles j’étais loin de m’attendre ne pensant pas qu’elle garderait de moi un aussi vivant souvenir.
            J’ai trouvé ici des tas de nouvelles de toi et cela a encore illuminé le jour.
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            Ces lignes n’ont pu partir hier soir ; dans l’agitation du retour, je n’ai pas vu passer les heures et cela sera cause que mon fils bien aimé sera un jour sans lettre, pardonne-moi.
            Je crois rêver d’être ici. Si tu étais là ce serait trop beau ! Au réveil Alice m’a m’apporté Na qui m’a conté des tas de choses pendant que je m’habillais. Elle a une vie, un entrain extraordinaires. Sa première dent est sortie ce qui est un véritable évènement. On lui demande où est oncle Jean et elle montre ta photo en jetant ses petits cris d’oiseau.
            Je ne la trouve pas très engraissée car elle souffre de ses dents.
            Ns venons d’avoir à déjeuner un professeur d’Anglais [M. Corteel] du lycée de Lille. Il est français, fort interessant et sympathique. Mobilisé comme interprète, il a quitté Lille vivement pr ne pas être prisonnier mais laissant là-bas jeune femme et enfants, et il est sans nouvelles depuis des mois et triste, triste à faire pitié. Hugo et Suzie prennent des leçons le Dimanche et le gardent la journée ; ils sont très bons pour lui.
            Tante Anna vient de venir avec ses filles et en les raccompagnant j’ai trouvé ta carte du 24. Ce matin celle du 22 venant de Saverdun. Merci de ta fidélité, de ta ponctualité plutôt. Heureuse, reconnaissante que les gaz se soient trompés d’adresse. Oh ! Si cela pouvait être toujours. Avez-vous encore la pluie ? Ici il fait déjà très chaud et les mouches m’assassinent.
            J’ai laissé ta tante se debattre avec les multiples occupations. J’ai quelques scrupules et regrets retrospectifs mais vraiment je ne pouvais plus, j’ai tenu et fait tout ce que je pouvais. Je le regrette pour oncle Geo. J’ai tenu bon un mois.
            Bonne delicieuse lettre de Mlle [Léo] Viguier. Si tante Fanny la lisait c’est pour le coup qu’elle s’affolerait. Elle s’étonne de mon calme à ce sujet.
            Pour ce soir, adieu mon bien aimé. Que Dieu te garde encore te guide toujours et soutienne ta belle et noble vaillance.
            J’ai voyagé hier avec un adjudant qui a été au 58 à Pont-St-Esprit. Blessé il repartait. C’était aussi un vaillant qui vous donne confiance et prtant il laisse femme et enfants.
            Reçois mes caresses maternelles les plus maternelles, les plus tendres. 

Ta mère

            Bien bien heureuse si tu me réserves ce coupe-papier et la bague aussi, je serai ravie d’avoir ce souvenir. Suzie voudrait tant une bague.