mardi 31 mai 2016

31 mai 1916 - Transport vers Vraux

          D’ailleurs, ma véritable paroisse de guerre, c’est ma section. Hélas ! dans quelques jours, elle aura fondu comme neige au soleil. Il faut en effet que le 6ème corps à son tour « monte à Verdun ».

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

Mémoire des hommes - JMO 132ème R.I. - 31 mai 1916

lundi 30 mai 2016

Front de Champagne, au cantonnement, 30 mai 1916 – Jean à sa mère

30-5-16
            Maman cherie 

            Nous venons de quitter les tranchées. Nous sommes au cantonnement et ne tarderons probablement pas à aller beaucoup plus à l’arrière. Il ne fait toujours pas beau. Il me tarde de recevoir quelque chose de toi de Cette.
            Je ne t’écris pas plus longuement, étant encore tout abrutti par le sommeil et la fatigue de la relève.
            Nous regretterons ce secteur, qui ns a été vraiment très clement.
Tendrement 

Jean

dimanche 29 mai 2016

Front de Champagne, en ligne, 29 mai 1916 – Jean à sa mère

29-5-16
            Maman cherie 

            Je reçois ta bonne lettre de Toulouse. Tu as bien fait de quitter Saverdun. C’est pour moi un vrai soulagement de te sentir à Cette.
            Tante Fanny en prend vraiment à son aise.
            Mlle [Léo] Viguier m’écrit une lettre un peu triste : Pas de nouvelles de [sans doute Charles] Westphal depuis quelques jours, [Daniel] Loux à très mauvaise mine, Les Allier reviennent de St Dié où l’autopsie de leur fils [Roger Allier] a révelé qu’il avait été tué à coups de crosses de fusil. Quel calvaire pour ces pauvres gens.
Très tendrement 

Jean

samedi 28 mai 2016

Front de Champagne, en ligne, 28 mai 1916 – Jean à sa mère

28-5-16
            Maman cherie 

            Je reçois ta lettre du 24 ; j’espère que c’est la dernière semaine de Saverdun. Quelle vie que la tienne, ma pauvre maman. Enfin, à l’heure qu’il est, le sourire de Na te console de toutes tes misères.
            Ici c’est de nouveau le beau temps et le calme. Je crois d’ailleurs que nous ne tarderons pas à quitter nos bouleaux et nos pins. Ces pauvres arbres ne se remettent pas d’avoir baigné quelques heures ds la nappe de gaz. Ils sont lamentables. Si nous partons, je ne crois pas que ce soit pour une action immédiate. Ne te tourmente pas. Je t’embrasse. 

Jean

vendredi 27 mai 2016

Sète, 27 et 28 mai 1916 – Mathilde à son fils

Cette, le 27 Mai 1916
            Mon grand fils chéri 

            Enfin enfin me voici de retour ; j’aspire au logis et tu te fais une idée de ma joie. Puis-je te l’avouer ? Suzie et Na m’attendaient à la gare et notre bijou m’a reconnue me faisant des tas de fêtes auxquelles j’étais loin de m’attendre ne pensant pas qu’elle garderait de moi un aussi vivant souvenir.
            J’ai trouvé ici des tas de nouvelles de toi et cela a encore illuminé le jour.
28

            Ces lignes n’ont pu partir hier soir ; dans l’agitation du retour, je n’ai pas vu passer les heures et cela sera cause que mon fils bien aimé sera un jour sans lettre, pardonne-moi.
            Je crois rêver d’être ici. Si tu étais là ce serait trop beau ! Au réveil Alice m’a m’apporté Na qui m’a conté des tas de choses pendant que je m’habillais. Elle a une vie, un entrain extraordinaires. Sa première dent est sortie ce qui est un véritable évènement. On lui demande où est oncle Jean et elle montre ta photo en jetant ses petits cris d’oiseau.
            Je ne la trouve pas très engraissée car elle souffre de ses dents.
            Ns venons d’avoir à déjeuner un professeur d’Anglais [M. Corteel] du lycée de Lille. Il est français, fort interessant et sympathique. Mobilisé comme interprète, il a quitté Lille vivement pr ne pas être prisonnier mais laissant là-bas jeune femme et enfants, et il est sans nouvelles depuis des mois et triste, triste à faire pitié. Hugo et Suzie prennent des leçons le Dimanche et le gardent la journée ; ils sont très bons pour lui.
            Tante Anna vient de venir avec ses filles et en les raccompagnant j’ai trouvé ta carte du 24. Ce matin celle du 22 venant de Saverdun. Merci de ta fidélité, de ta ponctualité plutôt. Heureuse, reconnaissante que les gaz se soient trompés d’adresse. Oh ! Si cela pouvait être toujours. Avez-vous encore la pluie ? Ici il fait déjà très chaud et les mouches m’assassinent.
            J’ai laissé ta tante se debattre avec les multiples occupations. J’ai quelques scrupules et regrets retrospectifs mais vraiment je ne pouvais plus, j’ai tenu et fait tout ce que je pouvais. Je le regrette pour oncle Geo. J’ai tenu bon un mois.
            Bonne delicieuse lettre de Mlle [Léo] Viguier. Si tante Fanny la lisait c’est pour le coup qu’elle s’affolerait. Elle s’étonne de mon calme à ce sujet.
            Pour ce soir, adieu mon bien aimé. Que Dieu te garde encore te guide toujours et soutienne ta belle et noble vaillance.
            J’ai voyagé hier avec un adjudant qui a été au 58 à Pont-St-Esprit. Blessé il repartait. C’était aussi un vaillant qui vous donne confiance et prtant il laisse femme et enfants.
            Reçois mes caresses maternelles les plus maternelles, les plus tendres. 

Ta mère

            Bien bien heureuse si tu me réserves ce coupe-papier et la bague aussi, je serai ravie d’avoir ce souvenir. Suzie voudrait tant une bague.

Front de Champagne, en ligne, 27 mai 1916 – Jean à sa sœur

27-5-16
            Ma chère Suzon 

            Je viens de recevoir en même temps tes deux paquets. Le livre de [Edouard] Rod, les sandales et leur contenu. Très bonne idée les sandales, et les dattes aussi d’ailleurs.
            Je pense que maman aura regagné le home quand tu recevras cette carte. Il me tarde de la sentir sous ton toit, car elle n’est vraiment pas heureuse à Saverdun. Pauvre maman ! Si on avait su, elle serait si volontiers restée à Cette. Les boches font beaucoup de bruit aujourd’hui, mais pas trop de casse heureusement, pas du tout à la Compagnie.
            Très affectueusement à toi et mille fois merci. 

J. Médard

Front de Champagne, en ligne, 27 mai 1916 – Jean à sa mère

27-5-16
            Maman cherie  

            Ci-joint quelques petites photos qui te feront peut être plaisir. Elles sont mal tirées, mais je tacherai d’avoir du papier et d’en tirer d’autres.
            L’une est prise à la porte du bureau de la Compagnie, où je couche actuellement, et d’où je t’écris aujourd’hui même. C’est un abri tout à fait confortable.
            A coté de moi le sergent fourrier Ducluzeaux, très gentil garçon, et assis en avant notre interminable sergent major, Charlet.
            Sur l’autre, notre salle à manger à l’heure du repas. Tu vois que notre ameublement est à la fois moderne et primitif. A l’issue du repas pendant lequel a été pris les photos le banc sur lequel je suis assis a même cédé sous le poids de nos 3 corps et nous sommes tombés les 4 fers en l’air.
            A coté de moi Ducluzeaux et au fond l’adjudant, en face Charlet et à coté de lui [Emile] Roulleau[1], le caporal fourrier, un type absolument crevant. C’est un ami intime du lieutenant, ami d’enfance, et ils passent leur journée à se taquiner. Au fond, un des hommes de ma section qui nous sert, un des plus braves.
            Sur l’escalier, de bas en haut, Ducluzeaux et Roulleau, moi, l’adjudant et mon brave poilu, un autre poilu et le sergent major.
            Tu vois que nous n’avons pas l’air trop malheureux.
            J’ai reçu hier après-midi tes bonnes lettres des 22 et 23.
            Ne t’en fait pas pour les souliers et surtout pour les livres. Surtout ne fait pas la bêtise de les acheter si tu les retrouves pas, j’en acheterai plutôt d’autre, quitte à ne retrouver ceux-là que beaucoup plus tard.
            Bien sur que j’ai reçu ton gateau, je t’ai même remercié il y a longtemps et m’étonne que tu n’aies pas reçu mes remerciements.
Très tendrement à toi 

Jean


[1] Jean écrit « Rouleau », à chaque fois qu’il mentionne ce camarade ou sa famille.

jeudi 26 mai 2016

Front de Champagne, en ligne, 26 mai 1916 – Jean à sa mère

26-5-16
 
Source : Mémorial GenWeb
          
Maman cherie 
 

            A l’heure qu’il est tu dois être à Toulouse. J’espère que cette fois tu n’auras pas manqué tes amis. Il me tarde de te savoir à Cette.
            Ici vie un peu monotone. Il pleut. Le lieutenant a pris hier quelques photos sur lesquelles je suis, j’espère pouvoir d’en envoyer bientôt. Je lis de très beaux livres de W. [Wilfred] Monod « Vers l’Evangile sous la nuée de guerre ».
            Triste nouvelles : on a retrouvé ds une fosse commune le corps de Roger Allier, disparu depuis le début de la campagne, les parents espéraient encore… [Daniel]  Loux m’écrit de Paris une bonne lettre. Il a vu [Daniel[1]] Chéradame de passage, toujours le même
Tendrement 

Jean

[1] Jean ne précisant pas le prénom, il n’est pas complètement sûr que le Chéradame dont il parle soit Daniel, qui avait deux frères (Henri, né en 1891 et Robert, né en 1896). Mais Daniel étant de 1893, c’est celui des trois le plus susceptible d’avoir été à la fois un camarade de Jean et de Daniel Loux.

mercredi 25 mai 2016

Front de Champagne, en ligne, 25 mai 1916 – Jean à sa mère

25-5-16
            Maman cherie  

            Merci pour ta bonne lettre du 21 et celle de Suzon que tu me communiques. Je t’assure que je pense bien à toi et il me tarde que tu aies repris ta vie à la maison.
            Bien triste cette mort de Jacques de Seynes. Je crois que c’était le préféré de sa mère,
[Suzanne de Cazenove, ép. Louis de Seynes] qui doit être bouleversée. Décidement à Verdun les artilleurs payent trop largement leur part. Ici on ne s’en fait toujours pas. Je vis avec le bureau et le lieutenant. Tout ce monde là est très gai et nous passons presque toute la journée à nous taquiner. Je viens de faire une longue promenade en première ligne pour reconnaître un nouveau secteur.
Très tendrement à toi 

Jean 

            Si tu peux trouver dans mon carnet d’adresses de Paris, celle des de Seynes, envoie-là moi.

           

mardi 24 mai 2016

Front de Champagne, en 1ère ligne, 24 mai 1916 – Jean à sa mère

24-5-16
            Ma chère Maman 

            Il pleut, un bon orage de Mai. Le bruit du tonnerre change un peu de celui du canon. Je souffre de te sentir encore seule à Saverdun, mais je t’écris quand même à Cette. Tu y arriveras probablement pour recevoir mes lettres. Rien de neuf. Hier encore les Boches ont fait une emission de gaz, à côté de nous, comme la dernière fois le vent a tourné et ils ont tout pris sur la g….. Nous n’avons même pas mis nos masques.
            Il y a à coté de moi un poilu qui chante : « Ah ! qu’il fait bon d’aimer sous ton ciel andalou » tandis qu’il tombe des trombes d’eau ; ça me donne des distractions.
Très tendrement à toi

Jean

lundi 23 mai 2016

Front de Champagne, en 1ère ligne, 23 mai 1916 – Jean à sa mère

23-5-16
            Maman cherie  

            Je t écris à Cette. Je pense que c’est encore là que j’ai le plus de chance de te raccrocher. Je ne me sépare pas des dernières photos de Na. Elles sont epatantes.
            Reçu ces mots des 18 et 19. Oui ! tu peux m’envoyer mon costume kaki. Au cantonnement au moins il sera precieux. Je suis très heureux, quoique un peu sec, et la tête vide. Mais il suffit d’un souvenir, d’une melodie fredonnée auprès de moi pour me faire vibrer.
            J’ai depuis plusieurs jours une bague en aluminium pour toi, en trefle à quatre feuilles. Puisque tu en as une, je t’enverrai, si tu le prefères, un coupe papier en bronze, fait avec une couronne d’obus. Qu’aimes-tu le mieux ? Suzanne aimerait-elle la bague ?
Tendrement 

Jean

            J’oubliais de te demander d’envoyer à Ch. [Charles] Grauss ss lieut au 286ème d’inf. 21ème Cie S. 181 une photo de moi. Il en desirerait une.

samedi 21 mai 2016

Front de Champagne, en 1ère ligne, 21 mai 1916 – Jean à sa mère

21-5-16
            Maman chérie  

            Nos heures s’ecoulent très doucement. C’est je crois le sejour le plus agreable que nous ayons fait aux tranchées.
            Ce qu’il y a de bien c’est que ns sommes pour le moment dans un secteur boisé, defilé, et qu’on est pas obligé de passer sa vie entre les parois de la tranchée. Nous sommes on ne peut plus tranquilles depuis l’alerte aux gazs de l’autre jour. Cette fois, nous en avons été quittes pour un peu d’emotion, une bonne suée sous nos masques. Nous y avons gagné l’experience des gazs, une confiance très grande ds nos masques.
            Ces masques ! Il fallait être tout le temps sur le dos des poilus pour qu’ils ne s’en separent pas autrefois. Je t’assure que maintenant ils ne l’oublient jamais. Nous n’avons eu aucune perte, c’est dire que l’experience ne nous a pas couté cher. Mais c’était assez impressionnant au milieu du vacarme étourdissant de l’artillerie de voir le feu d’artifice de fusées multicolores et de feux, et surtout une nuée sombre s’avancer, noyer tout, voiler la lune et nous envelopper.
            J’avoue que tant que je n’étais pas sur que l’attaque ne se déclancherait pas sur front de notre regiment, je scrutai avec anxiété l’obscurité de la nappe.
            Les poilus ont été épatants, tranquilles, braves. Il est vrai que nous n’avons pas reçu un seul obus dans notre coin, ce qui est appréciable.
            Je couche actuellement ds le bureau de la Cie avec l’adjudant, le sgt major, le fourrier ; je prends aussi mes repas avec eux, et ils ne se soignent pas mal.

             Ce matin j'ai assisté à la messe en plein air, sous le grand soleil.
Source : BDIC
            Voix trainantes, têtes baissées, figures lugubres, litanies. J’en souffrais. C’est tellement recroquevillé. Le christianisme est de lumière, de grand air, de tête haute, de voix claire, de regard droit.
            On ramasse les lettres. Je t’embrasse tendrement. 

Jean 

Saverdun, 21 mai 1916 – Mathilde à son fils

Saverdun, le 21 mai 1916
            Mon fils bien aimé 

            Bien attristée je me suis couchée, hier, de ne pas t’avoir écrit hier. Vraiment cela m’a été impossible. Je ne sais comment m’acquitter de ma tache vraiment un peu lourde pr mes capacités. J’ai perdu l’habitude des enfants ; je n’ai jamais eu celle des enfants gâtés. Et sans bonne ! ce matin pr arriver à les faire déjeuner avant d’aller au culte, j’étais à bout de souffle. Suzanne ne rentre que Mercredi soir c’est encore long. Mais dès son retour je filerai : Vendredi sans doute et je m’arrêterai à Toulouse jusqu’au lendemain.
            Sans nouvelle de toi depuis Vendredi – ces deux journées sont mortellement tristes.
            J’ai eu un mot de Suzie ce matin avec une ravissante photo de notre Na. Que je suis heureuse qu’elle te l’ait envoyé ! tu en jouiras comme moi ! C’est tout à fait elle, elle me parait aussi fort developée, cher petit bijou comme elle est jolie !!
Source : Mémoire des hommes - Morts pour la France
           Je viens de causer avec Mme [Mathilde] de Larlenque qui m’a priée de te communiquer une chose douloureuse. La mort à Verdun de Jacques de Seynes que tu aimais beaucoup. Une âme d’élite m’a dit sa tante, qui donnait les plus grandes et les plus nobles espérances ! et l’avenir était en eux plein de promesses tu l’aimais bien je crois et sympathisais avec, lui sa sœur aînée [Alix de Seynes] vient d’épouser son cousin [Raoul] de Cazenove pendant un congé de celui-ci. La seconde [Bénédicte de Seynes] est mariée à un [Roger] de Luze déjà depuis le commencement de la guerre. Je ne le savais pas – et je suis sous cette impression douloureuse pas entrain du tout pour accomplir ma tâche. J’ai soif d’avoir de tes nouvelles.
                Bien vite je dois te quitter pr écrire à ta tante afin de lui donner des nouvelles de sa smala. A oncle Georges à qui j’ai promis aussi. Le petit Lilou ne veut pas quitter mes pas c’est plutôt gênant.
            Reçois mon chéri mes tendres bien tendres caresses.

Ta mère
Ecris moi à Cette.

vendredi 20 mai 2016

Front de Champagne, en 1ère ligne, 20 mai 1916 – Jean à sa mère

20-5-16
            Maman cherie  

            Les communiqués t’ont peut-être affolé. Il n’y a pas de quoi. Nous n’avons subi que le contre-coup d’une attaque par les gazs ; c’est à   dire que ns avons passé quelques heures de la nuit sous nos masques, en alerte. Mais nos masques sont excellents. Les chiens et les rats du secteur ont seuls souffert des gazs. Beaucoup plus de bruit et d’odeur que de mal. Quand la nappe est passée, nous sommes rentrés nous coucher et maintenant tout est rentré dans l’ordre.          
           Je t’embrasse tendrement.
Jean

Source : Mémoire des hommes
JMO 132ème R.I. 19 mai 1916

jeudi 19 mai 2016

Front de Champagne, en 1ère ligne, 19 mai 1916 – Jean à sa mère

19-5-16
            Maman cherie  

            De nouveau aux tranchées. Chaleur. Hier je t’ai écrit une lettre que j’ai adressée à Cette, croyant que tu partais Dimanche. Tant pis. J’espère que tu ne t’inquièteras pas. Vie toujours aussi calme.
            Suzon vient de m’envoyer quelques photos absolument epatantes d’Elna. Je n’en reviens pas de ce developpement, de ces sourires, de cette vie. Je comprends qu’il te tarde de la revoir. Si oncle Georges est encore là embrasse le bien pour moi, lui et tous.
            Je vous embrasse.
Jean

mercredi 18 mai 2016

Front de Champagne, au cantonnement, 18 mai 1916 – Jean à sa mère

18-5-16
            Maman cherie  

            Il me faut beaucoup de courage pour commencer une lettre à cette heure de la journée – il est midi – car il fait une chaleur écrasante, une chaleur d’été qui rend moite comme une eponge et mou comme une chique, mais je ne veux pas remonter aux tranchées sans t’envoyer q. chose de + consequent que de petits bouts de cartes.
            D’abord pour te rassurer. Les communiqués parlent pas mal de la Champagne ces temps-ci, et même de notre secteur. Ça ne veut rien dire ; aucun changement dans notre vie.
            T’ai-je dit que j’ai reçu le gâteau. Il a été très apprécié par moi et par les autres, le cachou les cigarettes aussi d’ailleurs. Le saucisson, je le garde pour la tranchée. Oui je regrette infiniment que tu n’aies pu avoir par oncle Georges des nouvelles fraiches et de vive voix. Enfin !
            Je me suis fait arranger et retailler des effets militaires que j’avais touché au depot, ça ne m’a pas couté cher, et maintenant je suis « beau petit jeune homme » comme on dit ici.
            Pendant que je suis à t’écrire je reçois une lettre de toi et une carte de Mazère. Ainsi à l’heure qu’il est tu es prête à quitter Saverdun. Je t’envoie donc cette lettre à Cette et quand tu la recevras tu auras retrouvé le sourire d’Elna. Embrasse la bien de la part de son parrain.
            Avant-hier j’ai porté mes premières punitions, et du coup j’en ai puni 5. Ça m’embetait, mais il le meritaient bien.
            Ce matin a eu lieu l’exercice nous avons organisé des jeux, ce qui les embête beaucoup moins et les developpe.
            Embrasse-les bien de ma part, je t’embrasse bien fort. On fait trop de bruit autour de moi pour continuer. Tendrement à toi. 

Jean

mardi 17 mai 2016

Front de Champagne, au cantonnement, 17 mai 1916 – Jean à sa mère

17-5-16
            Maman cherie  

            Un temps ideal. Je t’ecris assis sur l’herbe à l’ombre des pins pendant que mes hommes travaillent et je jouis d’autant plus de ce repos que dans peu de jours j’en serai privé. Hier ça a été à peu près le même emploi du temps, mais loin du cantonnement et pour toute la journée. C’est pourquoi je ne t’ai pas ecrit. Un vrai « champ de Mars » ce cantonnement de repos : le tambour roule, des commandements retentissent, plus l’explosion de grenades du côté de l’école des grenadiers. Le bruit d’un moteur d’avion et par instant, assez lointaine, la canonnade. Et tout ça sous une lumière tiède au milieu de la sérénité des pins.
            Je pense très affectueusement à toi et t’embrasse. 

Jean

lundi 16 mai 2016

Saverdun, 16 mai 1916 – Mathilde à son fils

Saverdun, le 16 mai 1916
            Mon bien aimé 

            Ce  n’est point une sinécure que d’être nurse. Oncle Geo et sa femme sur le désir de cette dernière sont allés à Ussat passer une bonne journée en tête à tête, c’est naturel. Je n’ai pas eu un instant à moi. Ton oncle part Vendredi pr Montauban. Suzanne l’accompagne et je reste quelques jours pr régler les affaires de famille. Elle me demande de la remplacer encore et je ne puis refuser cela à mon brave frère. Je serai donc seule avec les trois derniers de Vendredi au mercredi 24. Mais après rien ne me retiendra. J’irai à Pamiers le Jeudi et je partirai le Samedi 27. Suzanne insiste pr me garder. Je ne puis plus. Ne lis pas ces lettres à oncle Geo si tu le vois ; déchire-la. Je vais à la gare les chercher après avoir couché les enfants et ne puis t’en dire plus long.
            Je ne sais rien de toi aujourd’hui, de Suzie pas davantage.
            Une grosse caresse. Je pense à toi tout le long du jour, tu le sais n’est ce pas ? 

Ta pauvre vieille maman
 

dimanche 15 mai 2016

Front de Champagne, au cantonnement, 15 mai 1916 – Jean à sa mère

15-5-16
            Maman cherie  

            Te voilà de nouveau seule probablement ; j’espère que ce n’est pas pour longtemps et que tu reprendras bientôt la vie plus douce entre ta fille et ta petite fille.
Ici il pleut à torrents. Je passe ma journée ds ma baraque à somnoler, lire et ecrire.
Nous redevenons étrangement gosses, et rions pour tout et rien. Nous nous moquons les uns des autres, de Noël un gros sergent à qui nous venons de barbouiller la figure avec de la moutarde, de Chabrol, le sergent qui s’occupe de notre popote – il a une petite voix et toutes les qualités d’une maîtresse de maison, aussi nous l’appelons « la bourgeoise » – de l’adjudant, qui est rentré hier de M. [Mourmelon] un peu plus gai qu’il ne faudrait.
Je t’embrasse tendrement. Bien des choses affectueuses à oncle Georges et tante Suzanne.

Jean

Front de Champagne, au cantonnement, 15 mai 1916 – Jean à sa sœur Suzanne Ekelund

15-5-16
            Ma chérie         

            C’est bien le moins que je te donne plus souvent de mes nouvelles, maintenant que Maman n’est plus là. Elles sont bonnes toujours, c’est le cantonnement, c’est-à-dire le delassement ; on redevient de grands enfants, on fait des blagues, on se taquine, et surtout on rit aux eclats pour rien. Il tombe des trombes d’eaux, mais l’on ne s’en plaind pas parceque on reste ds les baraques au lieu de faire l’exercice. Les poilus sont toujours très braves malgré les embetements.
            Je n’ai pas pu voir oncle Georges. Et à Saverdun ça ne va pas. Pauvre maman ! Comme elle doit être malheureuse. Je lui [mots manquants, coin de la lettre déchiré] rentrer le plus vite possible. [mots manquants, coin de la lettre déchiré] livres si tu peux aller à la maison  [mots manquants, coin de la lettre déchiré] et prière » de W. [Wilfred] Monod etc. etc.
            Je vous embrasse tendrement tous les 4, Hugo, Na, Alice et toi, 

J. Médard

samedi 14 mai 2016

Front de Champagne, au cantonnement, 14 mai 1916 – Jean à sa mère

14-5-16
            Maman cherie  

            Je viens de recevoir tes mots des 10 et 11. J’espère que tu auras beaucoup joui du passage d’oncle Georges. Attristé que ça n’aille pas comme il faudrait avec tante Suzanne. Etant donné cela, il me semble que le mieux à faire sera de rentrer à Cette dès que ta personne ne sera plus indispensable, c’est-à-dire après le second retour de Montauban. Se quitter sans aigreur en comprenant que les caractères de ceux qui souffrent d’une longue separation peuvent n’être pas toujours égal.
            Ce matin je suis allé à la messe. Un sergent du bataillon officiait ; c’est un prêtre assez sympathique à première vue, jolie petite chapelle. Un peu trop d’emphase. Quand comprendra-t-on que l’Esprit ne souffle que dans la grande simplicité.
Tendrement 

Jean

vendredi 13 mai 2016

Front de Champagne, au cantonnement, 13 mai 1916 – Jean à sa sœur Suzanne Ekelund

13-5-16
            Ma Suzon cherie 

            Maman t’envoie surement mes lettres, comme j’ai les tiennes par elle. Tu as raison de te démener pour Vila. J’espère que tu le sauvera. J’ai reçu hier un envoie de confiture exquise. Merci. Je suis plus gourmand que jamais.
            Si Alice pouvait trouver à la maison ou chez toi ma paire de souliers de ville, tu serais bien gentille de me la faire ressemeler et de me l’envoyer. Maintenant que la boue est moins envahissante, elles peuvent être précieuses au cantonnement, reposantes surtout.
            Quoique misérable correspondant je reste comme jamais près de vous par la pensée et le cœur. 
Jean

 

Front de Champagne, au cantonnement, 13 mai 1916 – Jean à sa mère

13-5-16
            Maman cherie  

            Hier grosse desillusion. En rentrant du travail j’ai reçu le mot d’oncle Georges [Benoît] où il me donnait rendez-vous pour le même jour à Châlons. Il en était déjà parti à ce moment là. Nous ne serons pas au repos de nouveau avant un mois d’ici, et d’ici un mois nous avons 30 fois le temps de changer de secteur, lui ou moi. Enfin.
            Je me rejouis en tous cas de penser que tu vas le revoir quelques jours. L’avais-tu revu depuis la guerre ? Reçu ta bonne lettre du 8. Pas besoin d’argent, maintenant que le sejour aux tranchées se prolonge indéfiniment, on accumule des prêts pour le cantonnement. Hier j’ai bu le champagne au bourg voisin où je suis allé avec G., un ss-lieut. de la compagnie.
Très tendrement à toi 

Jean 

            Dis encore à oncle Georges toute ma tristesse de l’avoir manqué.

mercredi 11 mai 2016

Front de Champagne, au cantonnement, 11 mai 1916 – Jean à sa mère

Source : Mémorial GenWeb
11-5-16
            Maman cherie  

            Reçu hier en même temps qu’une lettre de Mlle [Léo] Viguier tes deux mots du 6 et du 7. Je suis heureux de ne  plus te sentir seule. Merci de me communiquer les lettres de Suzon.
            Pas besoin de chaussettes. J’ai gardé intégralement toutes celles dont tu m’avais muni. Jusqu’à nouvel ordre je garderai les chaussettes de laine.
Je t’assure que si tu me voyais à cette minute tu ne songerais pas à me plaindre. Tranquilité dans ma baraque, douce chaleur dehors, et à ma bouche un cigare comme j’en ai rarement fumé de pareil.
Le courrier arrive. Rien de toi puisque hier j’ai été gâté. [Albert] Léo me dit avec beaucoup de tristesse la mort de son frère Philippe [Léo] descendu avec son avion. Bonne lettre de [Daniel] Loux aussi.
Tendrement 

Jean