mercredi 6 avril 2016

Marseille, 6 avril 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa 6 Avril 1916 

            Merci de ta carte du 2 reçue ce matin. Que ces cours d’aspirants te retiennent à l’arrière ! bien que d’après toi ce ne soit ni mieux ni plus sûr que la tranchée.
C’est curieux vraiment cette rencontre avec [Oscar]  Larose, j’en suis bien satisfaite.
Je suis un peu contente cette après midi parce que nous venons d envoyer 100 frs à Mr [Henri] Barraud pr l’achat d’une bicyclette. Figure-toi que nous avons lu dans le Christianisme son appel pressant et que tante Fanny en souvenir surtout de ce qu’il a fait pr nous[1] s en est émue. Il dit dans cet appel  que, evacué de Verdun, il est dans un petit endroit de la Meuse ou il est aumônier et doit visiter les cantonnements à 15 et 20 k. que sa bicyclette  refuse tout service, usée par l’activité deployée depuis la guerre et que sa femme et sa fille ont du fuir Verdun avec ce qu elles avaient sur elles et qu il ne peut se l’acheter. Deux fois déjà on a demandé pr lui ; l’appel n a pas été entendu. Je lui écris aussi chaudement que possible et je lui envoie 100 frs pr aider à l’achat. 40 f Fanny, 25 f Suzanne, 25 Jeanne et 10 f moi. Je suis heureuse de faire quelque chose en souvenir.
Mme Sylvander [née Marianne Bager] est venue ce soir. Pendant que ns prenions le thé, est venue une dame Evangéliste collectant pr l’œuvre de Mr Ferny [?] en Gironde [?]. Fanny lui a offert le thé ; elle ns a touchées et a prié avec nous ; une prière vibrante mais qui nous a remuées profondément.
Son mari est au front, son fils d’adoption aussi, elle sentait ce qu’elle disait ! et Mme Sylvander est restée si ébranlée qu’elle vient de nous quitter sans vouloir prolonger encore.
Mon chéri, mon bien aimé comme es tu ? Quelle mine as-tu ? As-tu reçu la chemise, caleçon et plumcake que je t’ai envoyés, ne manque-tu pas de linge ? J’espérais que tu profiterais de ton passage dans le camp pr te faire laver un peu de linge. Et de l’argent ?
Je me hâte pour expédier ces lignes ce soir. Sept heures sonnent, partiront-elles ?
Suzie ne partira que Samedi. Na est encore bien enrhumée. On met des cataplasmes sur sa jolie petite poitrine.
A déjeuner est arrivé un jeune poilu zouave retour de Salonique, filleul de tante Fanny ; ta nièce a fait des folies pour aller avec lui. C’était drôle tout à fait. Jeanne et tous trouvent de plus en plus qu’elle est ton portrait.
Adieu ce soir mon bien tendrement aimé. Que Dieu te garde toujours à chaque heure.
Je t’aime, je t’aime infiniment et te serre sur mon cœur bien triste de toi 

Ta vieille maman

[1] Henri Barraud, aumônier à Verdun, avait régulièrement visité Jean pendant qu’il y était hospitalisé suite à la grave blessure au poumon reçue le 18 mars 1915 aux Eparges.