samedi 23 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 23 avril 1916 – Jean à sa mère

Dimanche de Pâques, 23-4-16
            Maman cherie  

            Un beau Dimanche de Pâques tiède et ensoleillé ! Le secteur est tellement calme ce matin qu’il semble qu’on fasse armistice et qu’on veuille respecter les premières paroles de Jesus ds la chambre haute : « La paix soit avec vous ».
            Et de fait, depuis hier je me trouve dans une atmosphère de veritable paix interieure, de plenitude, de communion avec tous les bien aimés. J’ai reçu hier ta bonne lettre du 18 et ces derniers jours des lettres de mes plus chers amis et ns sommes spécialement près les uns des autres aujourd’hui. Je suis avec vous autour de la table sainte.
            Tu te demandes si je ne me suis pas battu. Tu comprends bien que je te le dirais. Les petites rafales d’artillerie dont les boches nous regalaient alors – il y a déjà 15 jours – n’avaient rien de bien grave puisqu’elles n’ont fait de mal à personne. S’il y avait attaque et véritable combat d’infanterie, l’artillerie ferait autrement de bruit.
            Je t’écrirai à partir de demain à Saverdun.
            Mes idées sur la guerre ! Elles sont bien complexes. Bien sur que c’est un crime de tuer. Il y a tuer et tuer. La haine est encore plus grave que le meurtre, et nous tuons sans haine. Ce qu’il y a de terrible c’est que le devoir pour ns ne consiste pas à choisir entre le bien et le mal, mais entre le mal (ne pas defendre sa patrie, son idéal) et un un mal (tuer) et un mal plus grand encore (ne pas defendre sa patrie, son ideal). Ns ne faisons pas que demolir et ns faire demolir, ns construisons aussi.
            Bonnes nouvelles de [Daniel] Loux, qui passera le trimestre d’été à Paris, de tante Fanny, de Mlle [Suzanne] de Dietrich, et Mlle [Léo] Viguier, d’[Albert] Léo, de [René] Cera, etc. etc.
Très tendrement, 

Jean