vendredi 4 mars 2016

Front de Champagne, tranchée, 4 mars 1916 – Jean à sa mère

4-3-16
            Maman chérie  

            Voilà la semaine de tranchée qui recommence, dans le même secteur, dans le même abris, avec les mêmes compagnons.
            Il fait beaucoup moins froid qu’à la dernière réléve ; plus de neige, plus de glace. Simplement de la pluie et un peu de boue.
            J’ai reçu hier soir ta bonne lettre du 29. Ne dis pas que ce n’est pas intéressant. L’intérêt que je prends à votre vie n’est pas à proportion des évenements qui la remplissent, mais de mon amour pour vous. Tout est toujours intéressant. Comment va le furoncle de Suzon ? Et toi ? Et Na ? Je suis très fier de la ressemblance avec moi. Remercie Alice de ces bonbons, ils n’ont pas fait long feu. Comment va son neveu ?
            Tes provisions aussi sont bien acceuillies ; elles completent très heureusement notre menu de tous les jours. Il ne faut d’ailleurs pas se plaindre, à partir d’aujourd’hui grand perfectionnement : on mange chaud. Les cuisines étant à plus d’une demie heure de marche on mangeait toujours tout froid ; maintenant on fait la corvée de soupe ds des marmites spéciales, et ça arrive chaud. C’est bien appréciable.
            Nous sommes toujours nez à nez avec les Boches ; très certainement c’est toute une vie grouillante en face de nous, et pourtant c’est le desert, le desert où l’on ne voit jamais un être vivant ou les arbres eux-même ne peuvent pas vivre. Seul le bruit des balles et des obus est là pour nous rappeller que les pierres ont des yeux et des oreilles.
            Tout ce que tu me dis de la journée de prière de la Féderation à Montpellier m’interesse beaucoup. Je savais par Mlle [Léo] Viguier que [Henri] Bois devait la présider. Alice Herrmann  est prise par la Féderation ; elle n’a pas fini de faire des découvertes passionnantes. Ça m’amuse que tu me parles la première de Suzanne de Dietrich. Je la connais très bien ; je ne t’ai jamais parlé d’elle parce que je pense que ton nom ne te disait rien. C’est une fille extraordinaire, sans beaucoup de sens pratique, mais une passionnée, qui vit bien son evangile ; un petit corps d’infirme, une figure toute illuminée de vie interieure. Je l’ai vue à mes derniers passages à Paris depuis la création du mouvement des volontaires parmi les femmes. C’est elle qui est à la tête ce de mouvement. Elle y est bien à sa place.
            A Paris aussi la journée de prière du 27 a été très reussie, très fortifiante d’après les premiers echos. Ce qu’il y avait d’exceptionnel c’est le grand nombre d’étudiants presents à Paris, soit en convalescence, soit en permission.
            Je suis obligé d’arrêter là ma lettre pour qu’elle parte aujourd’hui.
Très tendrement 

Jean 

P.S. J’ai recommandé ds mes dernières lettres que tu ne m’envoie pas d’effets. Reflexion faite si tu tricotes des lainages ou fabrique des chemises, envoie-les toujours. Il vaut mieux que ce soit mes poilus qui en profitent, et je saurai bien à qui ils seront donnés.