vendredi 31 juillet 2015

Sète, 31 juillet 1915 – Mathilde à son fils

Cette, le 31 Juillet 1915
Mon brave chéri, 

            J’ai été hier suspendue à la porte pr attendre cette fameuse depêche ; je suis même passée au télégraphe pr savoir si on ne l y détenait pas et je n y comprenais plus rien. Ce matin je suis descendue sur une demande de Tante Jeanne revoir l’ex prisonnier [Théodore] Guirauden pr lui poser quelques nouvelles questions. Eugène [Beau] ne boîte-t-il pas ? peut-on leur envoyer des pates, riz, etc. peut-il faire cuire ces denrées ? et en remontant j’ai trouvé ta lettre et ma deception, mais enfin je patiente avec bonne grâce ces quelques jours de plus ! C’est tant de pris sur l’ennemi.
            Prquoi ne t’a t on pas proposé pour trois mois ? J’espèrais tellement que Françon ferait cela. Enfin, enfin. Es-tu sûr des deux mois ? Au moins cela.
            J’ai rencontré hier matin Marcel Péridier. Il aurait tellement voulu te voir. Je lui ai donné ton adresse pr t’écrire car j’ignorais que tu allais être là. Il a pris de la virilité ; il est have [?] tout plein courageux, fait à tout mais il est tout surpris de ce que la guerre atteint peu Cette. Il en reste tout ahuri. Il repart ce soir pour le front et trouve que ces quelques jours en famille sont bien amollissants.
            Suzie se porte comme le pont neuf ; c’est à ne pas croire [?] à ce qui va être et qui sera dans une quinzaine de jours sûrement. Hugo est sur les dents et nous ne le voyons pas. Il retourne quelquefois le soir au bureau.
            Ns avons arrangé la petite chambre de bonne à côté de la mienne pour toi. Tu seras quand même plus à l’aise dans ta chambre et tu feras ta toilette dans la mienne. Que nous serons heureux quelques semaines si Dieu le veut et si tout marche bien pr Suzie.
            Hugo n’a pas encore vu de docteur et cela me donne bien du souci. Ns avons encore mercredi pr trouver une garde, celle que Suzie avait retenue s etant desistée. Ns avons enfin trouvé.
            Si c’est un petit homme, ce sera un « Pierre » et une fillette aura nom « Elna ».
            Alice a déménagé hier à ton intention elle va coucher à la maison et il faut que ce soit pr toi.
            Je te quitte, tante Anna ns attendant à passer l’après midi et je veux aller encore à la mairie. On m’avait certifié, là, que le papier que je t’envoyais était ce qu’il fallait et on a déchiré celui que l’on avait donné à Bernascon.
            Au revoir au bon revoir mon enfant cheri. Si tu le peux arrête-toi à Avignon. J’ai su par les Genoyer que tes affaires embarrassaient je crois les Bertrand.
            Bons baisers de tous et de ta maman les plus tendres.

Math P. Medard

jeudi 30 juillet 2015

Aix-les-Bains, 30 juillet 1915 – Jean à sa mère


Aix, Vendredi 30 Juillet 1915
            Maman cherie, 

            Je ne serai pas à Cette demain, mais seulement Mercredi [4 août 1915]. Les formalités sont longues. J’ai passé ce matin la visite au cercle devant un major, suis proposé pour 2 mois de convalescence et ne passerai devant le general que Mardi.
            D’ailleurs les papiers que j’avais n’étaient pas suffisants. Il faut outre un certificat du maire une demande de toi et le certificat du maire lui-même n’était pas conforme aux formules officielles donc nul. Signe donc, je te prie la feuille que je t’envoie, fais remplir au maire la deuxième partie de la feuille et renvoie moi le tout visé immédiatement.
            Il n’y a pas de mal à ce retard. Je suis parfaitement au cercle. Ma convalescence au lieu de partir d’aujourd’hui partira de Mardi et sera aussi longue.
Bien tendrement

Jean

 

30 juillet 1915 – Visite médicale à Aix-les-Bains


Fin Juillet, lorsque je passe la visite médicale il n’est pas question de réforme, mais on m’accorde deux mois de convalescence. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

mardi 28 juillet 2015

Aix-les-Bains, 28 juillet 1915 – Jean à sa mère

Aix, 28 Juillet 1915
Maman chérie 

            Je passe au Cercle après-demain Vendredi c’est dire que je partirai probablement le même jour pour Cette. Je te telegraphierai ulterieurement la date de mon arrivée. Si je puis partir Vendredi même, j’arriverai à Cette Samedi à 7 heures 10 du matin, ou à 5 heures du soir selon que je m’arreterai ou non à Avignon. Il serait trop long de s’arreter à Lyon ou Montelimar. Tante Elise m’ecrit qu’elle ne vient pas.
            Aujourd’hui j’ai fait mes visites d’adieu. Je te raconterai tout cela de vive voix.
Je vous embrasse tous.

Jean

samedi 25 juillet 2015

Sète, 25 juillet 1915 - Mathilde à son fils

Villa de Suède 25 Juillet 1915 


            Ta tante Anna passait hier l’après-midi ici et était là quand je reçus à 6 h du soir ta lettre. J’étais toute heureuse à l’idée de cette course du Revard si tentatrice et que toi, au moins, tu as pu faire. Est-il aimable ce lord anglais et l’avez-vous bien remercié ? Il fallait que ton esprit fut fort absorbé par cette vision de rêve pr oublier l’invitation de ton docteur. Elle a une vraie malchance mais c’est une gaffe fière que la leur, vs ne vous devez plus rien réciproquement. [La lettre à laquelle répond Mathilde manque, sa phrase est du coup peu claire.]. Ne penses-tu pas que je ferais bien de leur écrire avant ton départ ?
            J’ai reçu hier une gentille lettre de [Daniel] Loux que je joins à ma missive et une lettre charmante dans la même enveloppe, de Hélène Mac Aun [?] ! Comme le dit Loux  le monde est bien petit. Je me demande quelle impression a Loux d’Hélène. Elle, me parle de cette exquise famille Loux avec laquelle elle voisine et prend le thé et qui parlait de nous devant elle tout à fait au hasard.
            Ns continuons notre tranquille petite vie et Suzie ne paraissait pas plus ennuyée que nous de l’arrivée de ton camarade[1]. Le seul ennui eut été qu il fut là au moment des couches. On se serait arrangé…
            J’ai été au temple ce matin. C’était plus qu’au dessous. J’en étais attristée car il y avait des hommes dans l’auditoire. Le texte se délayait autour de « la solitude » « La solitude de Jesus ». Ns devons ns isoler pr réfléchir à nos actions à celles des autres et tout était là. Rien de travaillé, bien sûr[2].

Debout : au milieu Henri Ertz, à droite Eugène Beau.
Source : Sébastien Ertz, collection particulière ©

       Henri Ertz (1891-1932), sergent au 4ème BCP et arrière-grand-père de
Sébastien Ertz, était prisonnier dans le même camp qu'Eugène Beau. 
       Son arrière-petit-fils Sébastien, en cherchant la trace des camarades
de captivité de son aïeul, a trouvé la mienne et a eu la gentillesse de me
communiquer cette photo. Qu'il en soit ici vivement remercié.
       Voir aussi la lettre de Mathilde du 7 novembre 1915.
            En passant par chez nous, j’ai trouvé une carte d’un jeune Théodore Guirauden (le fils je crois du pharmacien) qui me dit que, prisonnier de guerre pendant 11 mois avec le sergent Beau [Eugène Beau, cousin germain de Jean] au camp de Konisburg[3], il m’apporte de ses nouvelles qui étaient bonnes lorsqu’il le quitta. J’ai reçu ce matin une lettre de tante Jeanne [Beau] me disant son départ pr Villefort en Lozère ou elle va garder Simone [sa petite-fille, fille de son fils Maurice Beau, mort le 2 mai 1915 aux Dardanelles] souffrante de la dentition. Elle sait qu’un Cettois prisonnier est revenu et me demande d’aller aux informations. Je lui adresse cette carte et irai demain matin voir le jeune Guirauden. Si j’étais libre, j’irai m’installer quelques jours auprès de ta tante, rompre cette solitude qui doit être terrible en ce moment. Peut être est-ce tout le contraire et que l’isolement des siens [?] lui sera salutaire. Elle aura le droit d’être à sa douleur.
            Emilie Laporte a un gros garçon. Je souhaite cela à Suzie, une fillette sera plutôt mal venue, la pauvre ! Comme il me tarde si tu savais que ce moment soit passé et prtant je n’ai point de hâte de voir passer les jours en ce moment. Ne hâte tjours rien tt le temps là-bas est bon pour toi et tu ne t’y ennuies pas c’est l’essentiel.
            Longue lettre de tante Fanny. Annie a vu Edouard [Edouard Houter, son mari] 6 jours près de Paris où elle est encore. Oncle Georges [Benoît] vient de passer huit jours auprès des siens, tante Suzanne l’a écrit à tante Anna et il a donné des conférences très interessantes.
            Mon grand chéri je te quitte pr aller à la poste non sans t’embrasser bien fort.
            Amitiés aux dames qui se souviennent de moi. 


Ta maman qui t’aime bien 


Et ces cheveux les soignes-tu ?

[1] Oscar Larose, selon toute vraisemblance. En effet, dans une lettre du 27 mars 1916, Jean écrira : « Les sergents qui suivent un cours de leur côté étaient avec moi, et je n’ai pas été peu étonné de voir parmi eux Larose, le petit sergent du 166, qui était dans la même salle d’hopital que moi à Aix, que je voulais amener à Cette en permission. Il est maintenant ds un regiment de ma division, et j’aurai peut-être l’occasion de le revoir. »  
[2] Pierre Médard (1860-1900), prédécesseur du pasteur dont Mathilde critique ici (et parfois ailleurs !) le sermon, était très réputé pour ses prédications.  
[3] Une recherche en ligne montre que le nom du camp était Königsbrück.

lundi 20 juillet 2015

20 juillet 1915 – Albert Léo à Jean : sermon de Pâques

20 juillet 15

Comme post-scriptum [le premier feuillet manque], je viens de trouver mon [mot illisible] de sermon de Pâques, le seul que j’ai prononcé en Alsace et je t’ai copié ces lignes :

            … Et nous qui interrogeons la mort sans doute plus souvent que jadis, nous qui cherchons à départager ces 2 grands royaumes mystérieux : la vie et la mort, à comprendre leur relations et leur sens, nous tressaillons devant celui qui a su transformer la mort en vie, à tel point que la tradition veut s’il en ait triomphé dans son corps.
            Il nous crie de croire à la vie puisque dans la mort, il nous montre que les morts, qui se multiplient forcément en temps de guerre, sont en réalité des germes de vie, que l’existence physique n’est pas tout, n’est même pas l’essentiel, qu’il y a les grands principes spirituels, sans lesquels les hommes plient comme des épis de blé au vent. Il nous dit que là où nos yeux voient un charnier notre âme doit percevoir une procession triomphante.
            Loin donc de rester étranger à notre crise, il réclame et lui donne un sens : « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui la perdra à cause de moi, celui là la sauvera. » parole qui avait déjà un sens en temps de paix, mais qui ne se comprend vraiment que depuis la guerre : l’homme qui tient avant tout à garder sa vie sauve, nous parait-il vraiment un « vivant » ? Tandis que celui qui la donne, pour l’amour d’un être qu’il aime, un secret instinct nous murmure qu’il reste plus vivant que les autres…

samedi 18 juillet 2015

Sète, 18 juillet 1915 – Mathilde à son fils

Cette 18 juillet 1915
Mon chéri, 

J’ai reçu hier ta bonne lettre et en ai eu une vraie joie car tu es maintenant aussi avare de ta prose pr ta maman que pr les autres. Je m’en suis aperçue. Le pauvre [Daniel] Loux en est, tu le sais, tout malheureux. Tu vas d’empresser je suis sûre, de remercier ta sœur de ses bonnes truffes et de la pensée qui a dicté cet envoi et tu écriras un peu à ton ami, car maintenant c’est de la paresse pure chez toi. Comme je me suis réjouie de cette course en auto quelle aubaine pr toi ! mais il eut été préférable que la promenade fut dirigée d’un autre coté puisque tu connaissais celui là.
J’ai eu hier un mot de tante Elise [Médard épouse Drouillon], me grondant d’avoir tant tardé à lui  donner ton adresse à Aix où elle t’aurait déjà écrit. Elle me demande des tuyaux pr aller te retrouver (Adresses d’Hôtel) car, me dit-elle, elle a grande envie d’aller t’embrasser. Je ne sais quel Hôtel lui conseiller, tu pourrais chercher un peu ou demander des renseignements.
J’ai enfin fait partir ton paquet. Les pantalons avaient besoin d’une petite réparation et Alice tardait à les repasser, voilà prquoi tu ne les as pas encore. Je n’ai pas songé à laver les souliers assez tôt. Je joins au paquet du savon blanc à la magnésie et une brosse.
Source : Mémoire des hommes - Fiches "Morts pour la France"

Longue lettre de Tante Jeanne [Médard épouse Beau] à Suzie. Te l’ai-je déjà dit ? elle voit tomber son dernier espoir. Les nouvelles reçues des Dardanelles lui enlèvent jusqu’au dernier [son fils Maurice Beau, le cousin de Jean, y était en effet mort le 2 mai 1915]. Pauvre Jeanne quelle vie éprouvée sur le declin des jours ! elle était encore si heureuse quand, moi, j’eus ma vie brisée. Et cependant, il y a déjà longtemps qu’oncle Emmanuel [son mari] se charge de troubler son horizon.
Je coule des heures douces et bien calmes ; tout à fait charmantes si tu étais là. Ta sœur extremement bienveillante ; elle va, vient, elle coud surtout et je me rejouis de le faire aussi à ses côtés.
Aujourd’hui, Dimanche, ns sommes particulièrement tranquilles. Hugo, très absorbé, songe, calcule, écrit. Maintenant, il arrose son jardin et je vais aller avec ta sœur voir un peu tante Anna.
Alice vient de nous quitter pr aller passer trois ou quatre jours à Montagnac mettre un peu d’ordre dans ses affaires. Elle sait qu’elle ne peut y aller en Septembre [après la naissance du bébé de Suzie] et Suzie a tenu à ce qu’elle ait ces quelques jours. Du reste Maurice [Bouirat] son neveu se marie Samedi et elle se hâte pr ne pas être là au mariage. Je vais donc être un peu plus occupée des jours ci
Tu es en train de manger ta soupe. Je te suis autant qu’il se peut heure par heure. Sors-tu le matin ? As-tu des livres ? Fais tu tes frictions [?] ? et te fait on encore tes piqûres. [mot illisible] je te quitte pr aller à la villa Frisch voir ces dames. Tante Anna est effrayante de maigreur. Ce sejour en Normandie lui fera du bien.
Mille tendresses mon cher enfant d’une maman qui te cherit. Amitiés de tous.

dimanche 12 juillet 2015

Aix-les-Bains, 12 juillet 1915 – Jean à sa mère

Aix les-B. 12 juillet 1915
Maman cherie 

J’ai eu peur que cette lettre ne t’arrive pas à Alais [Alès], aussi je l’adresse à Cette  tu vas voir que les moindres instants ont été bien remplis depuis ton depart. En revenant de la gare j’ai trouvé la lettre d’avis de ma cantine. Je suis allé la chercher à la gare après dejeuner et j’ai pu ainsi m’habiller un peu pour la fête. Cette dernière un peu rasante. Beaucoup de monde. Beaucoup de gateaux beaucoup de bruit. Dans le public la baronne Rothschild tout à fait rasta, le fils du president Carnot, un lord anglais, etc.
Hier matin j’ai fait un puzzle ; j’étais invité à dejeuner chez les Agassis. Ces dames ont été charmantes ; la conversation n’a pas été difficile. Nous sommes allés ensemble au culte. Boyer a été bien. Je pensais t’écrire au retour, mais j’ai été ceuilli par Mme Bertrand, etc et n’ai pu rentrer que pour diner. A part ça, rien n’a changé.
Je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer de toi. Ça viendra. Il me tarde d’avoir des nouvelles de ton voyage.
J’embrasse tendrement les chers Cettois et surtout toi.

Jean

mercredi 1 juillet 2015

Juillet 1915 – Convalescence à Aix-les-Bains


La cousine Ménard-Dorian qui s’est beaucoup intéressée à mon sort et qui a le bras long a décidé que je serais soigné par son médecin, le docteur Françon, qui dirige un hôpital à Aix-les-bains. Elle arrive à ses fins. Dans le courant du mois je change d’hôpital et ma mère suit le mouvement. Je jouis maintenant d’une vue magnifique sur le lac du Bourget, mais les soins du docteur Françon sont devenus presque superflus. Je me lève, je reprends figure humaine. Je me promène. Bientôt ce seront des excursions sur le lac du Bourget et au Mont-Revard, où le baron Rothschild a offert un goûter à tous les blessés valides de la ville. Je puis de nouveau participer au culte public. Ma mère est repartie pour Sète seconder ma sœur dont la grossesse est assez avancée.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)