samedi 30 mai 2015

Chambéry, 30 mai 1915 – Jean à sa mère

Chambery 30 Mai 1915
Maman cherie 

            Je continue à vivre dans ma chambre ensoleillée avec le même programme, le même regime, le même horizon, les mêmes voisins. Tu me demandais dans une de tes lettres des renseignements sur ces derniers. J’espère que tu pourras bientôt te renseigner toi même. Ils ne sont pas desagreables, ns sommes en très bons termes, mais il n’y a absolument aucun lien entre eux et moi. Ce sont des ouvriers Parisiens. Je les aimerais mieux ou moins civilisés ou plus fins.
            L’un sergent parle beaucoup de lui de ses exploits, de ce qu’il sait, etc – il en coupe la parole même aux infirmières. Comme il a la parole facile et une certaine allure ces dernières ne savent plus s’il est electricien ou ingenieur electricien, elles lui apporte des livres très sérieux. Il remercie vivement, les rend sans les avoir lu pretextant que le mal à la tête l’empêche de lire et devore des romans pornographiques quand elles ne sont pas là.
            L’autre est le gavroche parisien sur lequel la vie a un peu passé. Il est plus simple et très amusant. ils font des plaisanteries sales et bêtes, ont la mentalité de leur milieu sur la morale sexuelle et tout le reste – au demeurant les meilleurs fils du monde, serviables, gais, courageux devant la souffrance.
            Maintenant que tu annonces ton arrivée comme prochaine il me tarde beaucoup de te voir venir.
            Mme Depuiboube ne peut plus te recevoir chez elle à coucher, elle a une amie, je crois, mais à manger, oui. Je lui ai dit que tu n’accepterais qu a condition de la faire au moins rentrer dans ses frais ; elle a fini par accepter. Elle te trouvera peut-être aussi une chambre à sous-louer où tu serais + à l’aise qu’à l’hotel.
            Depuis 2 jours il me semble que je vis un peu plus. Non que l’immobilité me pèse, mais j’ai envie de reprendre ma correspondance, de me raccrocher à des tas de choses que j’ai abandonné depuis mon accident, et peut-être depuis que je suis soldat. A certaines heures je voudrais travailler. J’espère ne pas me rendormir avant d’être reveillé tout à fait.
Adieu, Maman cherie,
tendrement à toi

Jean

vendredi 29 mai 2015

Chambéry, 29 mai 1915 – Jean à sa mère

Chambery, 29 Mai 1915
Maman cherie 

Je viens de recevoir ta bonne lettre. Tu as l’air decidée de venir bientôt. Tant mieux. J’espère que Suzon ne sera pas jalouse, je sais bien qu elle ne le sera pas.
            Je viens d’avoir la visite de Mr Boyer [le pasteur d’Aix-les-Bains]. Si tu etais encore auprès de moi quand j’irai à Aix tu ne pourrais pas profiter je crois de leur azile. Il faut pour cela suivre un traitement et n être pas un visiteur. Donc le + tôt sera le mieux. Absolument rien de nouveau ds ma vie. Je reçois à l’instant une lettre de Mme Grauss, bonnes nouvelles de son mari [Charles Grauss]. Loux m’a écrit aussi il y a peu. Il n’ira pas en Hte Savoie mais probablement en Suisse. Il ne peut passer ici.
Tendresses

Jean

jeudi 28 mai 2015

Sète, 28 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette le 28 Mai 1915


            Entre deux fers qui se chauffent pr mon repassage je viens un petit instant à toi mon grand chéri. Je suis venue, en effet repasser cette après midi pr éviter ce surcroît à Alice déjà à bout de souffle par l’occupation que lui donne la cuisine chez Suzie. Elle s’est distinguée pendant le séjour de tante Fanny et celle-ci a été très ravie de tout et de tous. Elle n’avait jamais vu Cette, c‘est une découverte et le petit ménage Ekelund une merveille ! Elle est partie ce matin et je ne l’ai pas revue car je suis allée à l’Hôpital.
            Hier, ns sommes allées toutes deux faire quelques visites. Mme E [Edouard] Julien [née Louise Baillif], Mme Frisch [née Louise Cormouls] très affectueuse, très vieillie par l’épreuve, Mmes L. [Louis] Julien [née Lydie Perrineau] et Rolland [née Evodie Louise Julien] toutes deux affables autant qu’il se peut et ns avons fini par le cimetiere ou il y avait un calme et une paix reposantes[1].
            Le soir ns avons passé la soirée chez les Poul, nouveau ravissement de ta tante devant leurs merveilles des Indes, leur installation, la vue sous le clair de lune.
            J’ai pensé que lorsque tu serais en convalescence, nous irions un peu ns perdre dans ce joli coin.
            Je ne sais pas te dire quel jour j’arrive, je te préviendrai au dernier moment.
            J’ai préparé un paquet qui n’est pas encore parti. Quelques bananes et quelques biscuits. On ne peut envoyer grand-chose. Je te neglige mon fils bien aimé, et j en suis honteuse. Depuis que j’ai repris l’Hopital et que j’ai eu tante Fanny j’ai negligé des tas de choses.
            Madou est encore là. Quelle gamine et quelle enfant sans gêne. Il y a des côtés de sa nature attirants et d’autres que je n’aime pas.
            La nuit vient avec l’orage il faut que j’aille la-bas bien vite. Ou en est ta blessure, je ne sais rien aujourd hui !
            Je t embrasse bien tendrement. Il me tarde de le faire pr de vrai.
Ta vieille maman fatiguée et qui t aime bien
Math P. Médard

[1] Mathilde avait des relations amicales avec trois couples Julien, appartenant à la paroisse protestante de Sète. Les trois hommes étaient frères :
- Louis Julien (1842-1913), négociant sétois, avait épousé Lydie Perrineau « Mme L Julien ». « Mme Rolland » est leur fille, Evodie Louise Julien (1878-1968) épouse de Wilhelm Rolland (1866-1934).
- Néri Julien (1845-1918) également négociant, avait épousé Jeanne Jalabert (1854-1927).
- Edouard Julien (1849-1927) était le mari de Louise Baillif (1858-1940) « Mme E. Julien »
Louise Cormouls « Mme Frisch » (1857-1937) était une amie de Mathilde, également membre de la paroisse protestante.

mercredi 27 mai 2015

Chambéry, 27 mai 1915 – Jean à sa mère

Chambery, 27/5/15
            Maman cherie 

            Je ne repond qu’aujourd’hui à ta bonne lettre du 26 mais elle partira à 2 h au lieu de partir le soir et t’arrivera peut-être aussi vite.
            Le docteur ce matin m’a trouvé mieux ! meilleure mine, le liquide diminue. Je lui ai montré une petite bosse près de ma plaie de sortie, maintenant absolument insensible, mais qui me faisait mal au moment de mes abcès et auquel les docteurs n’ont jamais fait attention.
            Il m’a dit que ce n’était rien, mais que j’avais eu une cote cassée qui s’était racommodée toute seule sans revenir parfaitement en place – d’où la petite bosse.
            Tout cela d’ailleurs sans aucune importance. Le medecin d’un autre service est rentré et il lui a montré mon bras comme exemple de maigreur.
            Il m’a dit qu’avant de m’envoyer à Aix, il voulait que le docteur Françon m’ausculte et voit lui-même si je pouvais supporter le transport sans inconvenient. Ma vie est toujours la même. Dis à Suzon que je lis tous les Jean-Christophe et que ça m’embale.
            Même regime aussi. Je me paye matin et soir deux gateaux à 2 sous qu’une infirmière m’apporte de chez le patissier. Tu vois que je suis plus gourmand que jamais. Je ne trouve pas que nos menus soient courts. Une soupe et deux plats que veux tu de plus ? Surtout qu’on en a a volonté. Les gateaux sont de la gourmandise. Je suis plutôt forcé de me retenir, car la digestion est + difficile quand on est couché que debout, et digestion trop diff. ce serait la fièvre. Ma temperature est reglée maintenant comme un papier à musique et le docteur la trouve très normale.
            C’est régulièrement 37° le matin/rectal/ et 37°6 le soir/idem/
            Tes lettres sont bien vivantes. Je ne te parle que de moi, mais je pense bien à vous. Il me semble même que je vis au milieu de vous, ds la lumière de la ville, sous les pins, des pierres blanches devant le panorama et ds les herbes sauvages du chateau-vert. Je sens la tendresse de tante Fanny et en suis bien ému. Embrasse là pour moi, Suzon, Hugo, Alice. Mes amitiés à Madou et les meilleures tendresses de ton fils qui t’aime.

Jean

 

mardi 26 mai 2015

26 mai 1915 – Lieutenant Sordet à Jean

26 Mai            Marseille
            Mon cher camarade,  

            Malgré les deux mois bien pénibles que je viens de passer, je ne vous ai pas oublié et maintenant que je reprends quelque goût à tenir un crayon ma pensée va vers vous comme vers tous ceux qui ont été sous mes ordres : vers ceux-là même que je n’ai connu que quelques heures et dont je n’ai pas eu le temps d’apprécier les qualités, comme ce fut votre cas.
            Vous rappelez vous la matinée que nous avons passée ensemble[1], quelques heures avant l’attaque, et pendant laquelle nous avons évoqué ce midi ensoleillé d’où vous veniez et ou les évènements allaient m’expédier plus vite que je ne l’aurais cru ? Vous m’avez alors paru sympathique et j’ai été bien peiné lorsque, beaucoup plus tard, j’ai appris que vous aviez été sérieusement blessé.
            Vous me ferez plaisir en me donnant de vos nouvelles, et vos impressions au cours de ce baptême du feu peu ordinaire.
Bien cordialement à vous 
 
Lieutenant Sordet
 
Hopital 2 bis
26 rue St Sébastien
Marseille

[1] Racontant dans ses mémoires son arrivée aux Eparges, Jean écrit : Pourtant le capitaine Sordet, commandant de la 11ème à laquelle je suis affecté, me reçoit avec une certaine chaleur. Mais il est préoccupé, pessimiste et las comme les autres officiers.  « Je suis le seul officier de la compagnie, mes quatre chefs de corps sont des sergents. Vous êtes aspirant. Je devrais régulièrement vous donner le commandement d’une des sections, mais vous arrivez, vous ne connaissez ni les hommes ni le terrain. Pour le moment vous resterez près de moi. Vous n’aurez que trop vite une succession à prendre.». Voir article du 17 mars.
 

vendredi 22 mai 2015

Mai 1915 – Chambéry, hôpital civil du Sacré-Cœur


Ma déception ne dure pas longtemps. Je suis installé dans un hôpital confortable, de mon lit je puis contempler les Alpes et surtout je suis soigné énergiquement par un bon docteur. Dès mon arrivée il a été éclairé sur mon cas par une nouvelle vomique. Quelques jours après mon arrivée ma mère dont la déception a été vive, mais brève, comme la mienne, vient m’y rejoindre. Le docteur pense que les combats sont finis pour moi et que je devrai me soigner longtemps. Ma mère se demande si ce diagnostic doit l’inquiéter ou la réjouir. Je suis encore très faible. Quand je contemple les montagnes il me semble que je n’aurai plus jamais la force de faire même une petite ascension. Pourtant j’ai un appétit féroce et je fais de rapides progrès. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre) 

Source : Notre Famille

mardi 19 mai 2015

Chambéry, 19 mai 1915 – Jean à sa mère

Chambery, 19 mai 1915 

      Voilà aujourd’hui deux mois que je suis blessé. A propos de ma blessure achete ou fais toi preter le n° de l’Illustration du 1r Mai. Il y a des photos des Eparges qui ont dû être prises au moment de notre attaque de Mars. En tout cas l’endroit où j’ai été blessé est exactement semblable à celui ou se battent les soldats de la photo et le ravin représenté ds les 2 dernières photos est celui que j’ai parcouru en partie le lendemain matin pr aller au poste de secours. Reçu aujourd’hui une bonne visite des dames Passebois. Mme Passebois mère connaissait surtout papa, elle t’a à peine vu ou entrevu à Alais, ou elle habitait. Reçu ta bonne lettre d’hier. Que cousine Aline est bonne. Je suis toujours pour le mieux, sans fievre. Ce matin nouvel auscultage et docteur avait l’air content et il me l’a dit.
Mille tendresses

Jean

lundi 18 mai 2015

Sète, 18 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette le 18 Mai 1915
           
Ci-joint, mon grand chéri, une carte de Léo qui j’ai ouverte par mégarde, excuse-moi.
Je suis venue chez nous un moment pr écrire tranquillement pendant que Suzie et Madou allaient voir tante Anna et Mme Pont et bien que la maison soit d’un calme attristant, je la retrouve tjours avec un sentiment de joie intense. J y fais ce que je veux, j’y pense surtout bcoup à toi et je pense à celui qui nous comble de ses bontés. J éloigne de moi, le  plus possible, tout sentiment mauvais, toute rancœur et je te dis cela parce que tu sais que c’est mon mal. Je m excuse parfois à mes propres yeux en me disant que les mauvais caractères ont une âme trop sensible. Ce n’est pas très juste, pas vrai ?
Encore une joie, c’est la lettre d’Aline Ménard que je trouve à l’instant en boite. Voici ce qu’elle me dit :
Votre fils est admirablement bien soigné par un ami de mon ami intime le Dr Françon. Françon a vu Jean l’a trouvé en très bonne voie. Il le prendra sous peu à Aix-les-Bains dans son ambulance où il sera dorloté, choyé, gâté comme le serait mon Jean à moi [Jean Hugo, petit-fils d’Aline Ménard-Dorian et arrière-petit-fils de Victor Hugo, cousin issu de germain de Jean].
J’irai le voir et si vous allez d’abord à Chambery vous serez satisfaite. En hâte… je pars demain pour Londres. Je vs envoie mes amitiés et mes vœux pour vos 3 enfants… en attendant ceux qui viendront et que je vous souhaite.
Voilà, c’est parfait, c’est bon, c’est reconfortant et maintenant je ne regrette plus rien. Je viendrai à toi quand tu me le diras. Vite comment vas-tu ? Je ne le sais pas aujourd’hui.
Mille baisers

Ta maman
  
Flashback 

            J’avais des rapports plus lointains avec des parents plus proches chez qui j’ai pourtant été invité plusieurs fois. Lui, Paul Ménard, était le cousin germain de mon père. C’était un homme assez effacé car sa femme occupait toujours le devant de la scène. Grands bourgeois à idées avancées, ils habitaient un hôtel somptueux rue de la Faisanderie.

Je ne dépeindrais jamais aussi bien la maîtresse de maison et le salon politique qu’elle présidait que ne le fait Louise Weiss dans ses « Mémoires d’une Européenne » (p 136-137). « Dans son magnifique hôtel particulier Madame Ménard-Dorian poussait le snobisme de révolution jusqu’à régaler avec les revenus qu’elle tirait de ses forges, les protagonistes de la IIème  internationale. Mécène et anarchiste, sectaire et artiste, cette grande dame qui avait été fort jolie s’intéressait aux talents inconnus. […]. Elle avait marié sa fille unique Pauline, à Georges, le petit-fils de Victor Hugo – union qu’elle avait préparée de longue main, séduite par cette manière d’alliance avec le proscrit de Guernesey. [...]»

C’est pendant cette dernière période, avant et après la guerre que je l’ai connue. J’ai déjeuné chez elle une fois avec Henriette Psichari, la fille d’Ernest Renan, et deux de ses enfants, une autre fois avec quelques vedettes de la politique, des lettres ou des arts, des Bertholet, des Langlois. Je n’y ai jamais rencontré Pauline qui devait être alors plus ou moins brouillée avec sa mère. Son accueil était toujours aimable, mais, comme jeune étudiant en théologie si j’étais admis comme parent je devais être classé d’emblée parmi « les ennuyeux ». 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (2ème partie : Enfance et jeunesse) 

dimanche 17 mai 2015

Chambéry, 17 mai 1915 – Jean à sa mère

Chambery, 17 Mai 1915
            Maman cherie 

            Rien de bien nouveau toujours pas de fièvre. Le liquide de ma plèvre  diminue, mais le major m’a dit que même quand j’irai beaucoup mieux il ne me laisserai pas me lever. Il ne comprend pas que mon herisypèle n’ait pas créé des complications du coté de la plèvre et il veut me menager à cause de ça. Toujours bon appetit. Je reçois regulièrement tes lettres.
            Je t’assure que je ne suis pas malheureux. Je vous embrasse tendrement.

Jean

jeudi 14 mai 2015

Sète, 14 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette le 14 Mai 1915
            Mon brave chéri 

            J’ai eu ton mot, ce matin et je suis bien heureuse mais vraiment, que tu sois si bien soigné. Tu pouvais tomber si mal et là était ma plus grande apréhension, mon gros souci.  Il faut donc être raisonnable et voir le bon côté de la chose. Peut-être le climat exceptionnel aura t il une très bonne influence sur ton état genèral. Mais cette fièvre m’ennuie beaucoup beaucoup.
            Comme Mme Depuiboube est une femme aimable. Je l’aime bien déjà de s’intéresser à notre revoir. Tu penses bien que j’y songe aussi, j attends seulement quelques jours. Je ne puis accepter son offre si aimable, mais, si elle veut bien me procurer un gîte à assez bon compte je serai bien heureuse. Remercie la bien de sa bonté.
            Tu ne me dis pas si tu es toujours couché, je le suppose. Que je suis contente que tu aies eu la visite du pasteur !
            Reçu aussi ce matin une bonne lettre de tante Elise [Elise Médard, épouse Drouillon, tante paternelle de Jean] qui fait tous les trains depuis huit jours ; je lui réponds d’arrêter son zèle. Elle me dit aussi qu’elle a eu de tes nouvelles par Aline Ménard qui s’étonne beaucoup que je n’ai pas répondu à sa lettre. J’attendais les nouvelles qu’elle me promettait et me suis empressée cette après-midi de lui répondre et de la remercier. L’as-tu fait ? Je n’ai jamais su par toi ce qu’elle t’avait envoyé ni par qui ? Dis-moi bien vite ce que tu désires que je t’envoie de mon côté ? des bannanes, des dattes ? Dis-moi surtout si tu prends des forces.
            Pour venir à toi et obtenir demi tarif il me faut une carte de l’hopîtal disant que tu es blessé et malade. j’espère qu on m’en enverra une.
            J ai été ce matin à mon Hôpital tout surprise et déçue de ne voir que des visages nouveaux. Dans l’idée de repartir vers toi, je ne reprends pas encore mon service.
            J ai appris à tante Fanny notre déception qui sera la sienne, mais je sais mon brave cheri que tu as fait l’impossible et que tu n’es pr rien dans cette grosse dèconvenue.
            J espère bien que tu auras quand même à la maison une grosse convalescence, ta longue maladie vaut bien cela.
            Ns avons passé hier une journée bien tranquille. Ns le sommes en général et travaillons beaucoup mais en ce moment les heures sont lourdes pr moi.
            Je t’embrasse mon grand aimé mille et mille fois.

Ta maman bien déçue

Chambéry, 14 mai 1915 – Jean à sa mère

Chambery, 14 Mai 1915
            Maman cherie 

            Rien de bien neuf à te raconter. Hier j’ai dormi presque toute la journée. On s’ennuie beaucoup moins qu’à Verdun. Les infirmiers viennent ns voir de tps en tps et causent un peu avec nous. On me fait manger beaucoup, œufs, veau, legumes, pates. C’est, je crois ce qui augmente un peu ma fièvre (38) aussi je mange moins le soir.
            Mais le docteur, docteur excellent veut à tout prix me remplumer et me fortifier. On me fait tous les 2 jours des piqures de cacodilate. Tout le monde s’appitoie sur ma maigreur qui est vraiment impressionnante. Il me tarde de recevoir de tes nouvelles. Je vous embrasse tous très tendrement.

Jean

mercredi 13 mai 2015

Chambéry, mi-mai 1915 – Bulletin de santé d’un militaire en traitement

[Non daté. Sans doute le 12 ou 13 mai 1915]

a) Nature et caractère de la maladie ou blessure.
Plaie du thorax avec complications pleurales. En voie d’amélioration. 

b) Désirs exprimés par le blessé ou le malade.
[Quelques lignes au crayon, illisibles tant elles sont effacées]
[mot illisible]  matin en effet le docteur a pu constater [mots illisibles]

mardi 12 mai 2015

Sète, 12 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette, le 12 Mai 1915 

            Mon pauvre chéri. Ta dépêche m’a anéantie. Je ne sais plus où j’en suis et ai bien de la peine à me ressaisir.
            J’attends impatiemment des explications car je me perds en conjectures. J’étais radieuse hier, à cinq heures en recevant ta carte aux bonnes, exquises, nouvelles et je suis allée chez tante Anna que j’ai trouvée avec sa belle fille [Yvonne Bouscaren, la femme de Lucien Benoît] raconter ma joie, mon allégresse et en rentrant de la villa à neuf heures j’ai eu la dépêche terrible a laquelle j’étais loin de m’attendre.
            Ce midi était tant et tant de fois promis que pr moi il n y avait plus l’ombre d’un doute. Vrai, quelle deveine. Ton infirmier qui est tombé malade pendant que j’etais auprès de toi qui n’a pas demandé le midi, lui est ici ! Je retiens tout le jour mes larmes tant est immense mon dépit et je dois me repéter à satiété les sujets de reconnaissance que j’ai au cœur pr ne pas sortir des gonds.
            Et maintenant je ne puis renoncer à l’idée de t avoir ici je vais faire l’impossible dès que j’aurai ta lettre.
            Si non eh bien je viendrai à toi. Je ne puis t écrire longuement j’ai une trop mauvaise journée et je t’enleverai ton courage.
            Vrai ! Chambery pourquoi pas un peu plus loin !! Je n’avais jamais songé à cette possibilité.
C’est un pays ravissant il est vrai mais en jouis tu ? Es-tu bien ? dans un bon et joli Hopital. Si tu savais ce qu’il me tarde de connaître tous les détails. N’as tu pas oublié à Verdun ton coussin et tes friandises. N’as-tu pas souffert pendant le voyage et a t il été long ?
Autant de choses à me dire. Quel jour es-tu parti ? Je te quitte parce que ne je ne suis pas en possession de moi-même. Dis moi comment tu es, là est l'essentiel.  Je suis chez moi car on a fait un petit demenagement  à la villa. On y préparait ta chambre. Suzie et Hugo ne demordaient pas de l’idée de t’avoir là haut. Ah ! Il ne faut pas essayer de comprendre.
Je t’embrasse de tout mon triste cœur

Ta mère bien affectionnée
Math P. Médard

lundi 11 mai 2015

11 mai 1915 – Evacuation de Verdun


Le jour du départ est enfin arrivé. Je suis transporté dans un train de blessés et nous roulons maintenant vers le sud. Malgré la fatigue et ma position d’allongé, je garde de cette journée une merveilleuse impression de lumière, de verdure, de printemps. Après le rapide cauchemar des Eparges et la longue nuit larvaire dans un lit d’hôpital, je renais à la vie.
Le soir pourtant une déception m’attend. Nous nous étions naïvement imaginé, ma mère et moi, que je serais évacué dans le Midi, car les blessés des Eparges étaient très nombreux dans les hôpitaux de Provence et du Languedoc.  Ma mère dans ses lettres se demandait seulement s’il fallait opter pour Marseille ou pour Sète. Je n’avais naturellement pas à opter, mais à suivre le sort de mon convoi. Or à Dijon, nous obliquons sur Bourg et le matin nous sommes débarqués à Chambéry.

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)
Source : Delcampe

vendredi 8 mai 2015

Verdun, 8 mai 1915 – Jean à sa mère

Verdun, 8 mai 1915
Maman cherie 

Le major est un type epatant. Ce matin « A evacuer couché pour 3 mois de convalescence ». Ce qui veut dire que je partirai dès qu’il y aura en gare un train permanent et que j’ai le maximum de convalo. De plus il m’a donné un conseil : « Normalement la convalescence se passe dans un hopital de l’interieur ; en tout cas le temps d’hopit. compte comme temps de convalo ; mais les parents peuvent reclamer leurs malades chez eux s’ils peuvent justifier qu’ils ont les moyens et la faculté de les soigner. Votre mère n’a a qu’à faire les demarches nécessaires à la mairie et ds 10 jours vs pourrez être chez vous. » Ainsi peu importe l’hopital où je serai evacué puisque j’y suis pour quelques jours à peine. Renseignes-toi et fais immédiatement toutes les demarches nécessaires. Dès que j’arriverai ds mon hopital d’evacuation je te donnerai mon addresse et ns agirons. Quelle joie. Reçu le paquet de Suzon et savouré avec delice. Reçu aussi hier un envoi magnifique de Mme Ménard-Dorian Je vais lui écrire.
Joyeuses tendresses

Jean

jeudi 7 mai 2015

Sète, 7 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette le 7 mai 1915

            Ma main me fait mal j’ai du rhumatisme probablement et aussi une veine très enflée. Je ne pourrais pas écrire longuement mais je ne pouvais pas me passer de le faire c’est devenu une nécessité. J’ai reçu ce matin ta carte du 3, rien hier. J’espère que tu as aussi ma lettre tous les jours. Que je suis contente que tu n’aies plus de croûtes sur la tête, mais comme cela a été long à partir. N’as-tu plus rien sur le corps ? et te remplumes-tu un peu ? j’espérais que tu avais pu déjà commencer à lire, je suis effrayée pour toi de la longueur des heures et dans chaque carte tu parles d’une quinzaine pr être évacué ! cela s allonge donc toujours ? Et cette toux voilà je me donne encore du souci. Dure-t-elle depuis mon départ ?
            Toujours des masses de lettres à répondre, je n’en vois pas la fin et fais cela le soir en rentrant.
            Hier en te quittant ns avons eu la visite de Mme E. [Edouard] Julien [née Louise Baillif], de tante Anna et de ses filles. Il pleuvait, elles sont restés l’après-midi et cela a bien été.
            Aujourd’hui Mme Néri [Jeanne Jalabert, épouse de Néri Julien] est venue ns aider à coudre pr le bébé et je me hâte avant sept heures.
            Je n’ai pas là l’adresse de Mme Cahier, mais je te l’enverrai demain le mieux si tu le veux est que j’écrive pr toi, je le ferai demain.
            Mme Bourguel m’a écrit ce matin. Nvelle lettre a repondre, elle ne me dit rien de Pierre, je pense donc qu’il est à l’abri.
            Hugo est tjours tout a fait absorbé nous ne le voyons qu’un instant au repas. Les prisonniers déchargent ses navires [Hugo travaillait pour la compagnie de navigation de son oncle Axel Busck].
            Madou Armand écrit qu elle va arriver après le 15 cela me fait rester quelque temps de plus à maison pr y coucher je ne le regrette pas ; j’aime aussi ma solitude quand elle n’est pas trop accentuée et je pense à toi tout le temps
            Je ne me sens pas encore de retourner à l’Hôpital.
            Mme Batailler [née Marie Julien, fille de Néri Julien et Jeanne Jalabert, épouse du docteur Adrien Batailler] me fait proposer d'écrire au major Soubeiran qui est à Verdun d’obtenir pr toi l’évacuation dans le midi, j’ai remercié, je crains que trop de démarches nuisent à celles qui sont faites. Qu’en dis-tu ?
            Je ne puis écrire davantage je souffre un peu. Je t’embrasse mon grand aimé de fils avec ma tendresse profonde

Ta mère
Math P Médard

Merci à Mr Krug d’être si fidèle. A-t-il reçu ma lettre ?
Ma lettre n’est pas partie hier, je ne t’écris pas aujourd’hui car je suis très occupée.

mercredi 6 mai 2015

Sète, 6 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette le 6 mai 1915
Mon chéri 

Rien au courrier ce matin que les mots de Mme A. Ménard Dorian, que je transcris pr te dire sa bonté. Tu dois être, à l’heure qu’il est, en possession de son précieux envoi et du coussin. Un [?]  desiré de un [?] et dont je bénis le ciel. Que de sujets de reconnaissance !! Je ne saurais jamais assez, durant toute ma vie, bénir celui de qui nous vient la délivrance, le réconfort. Que cette délivrance ne devienne pas trop vite à mes yeux une chose naturelle qui me fasse oublier de le remercier et de vivre d’une façon conforme à sa volonté. Je suis encore et toujours si loin du but.
Voici les termes de la lettre en question :
Ma chère cousine,

J’envoie quelqu’un voir votre fils à l’Hopital de Glorieux, dès que j’aurais des nouvelles bien precises je vous écrirai. Ne les attendez pas avant huit jours.
J’envoie au pauvre malade un oreiller bien doux, du raisin frais, des confitures ; et de la poudre de talc pour adoucir les plaies ; de l’eau de roses pour rafraîchir les yeux, un flacon de sels anglais qu’il respirera si l’odeur de l’hopîtal lui est pénible.
Pauvre enfant ! si je pouvais quelques chose pour lui faire du bien je serais trop heureuse.
J’ai écrit au Ministère  pour demander s’il ne serait pas possible de l’envoyer dans le midi, on ne m’a pas encore répondu et je n’ose vous donner trop d’espoir. Je suis avec vous de tout mon cœur de Gd mère angoissée.
Aline Ménard Dorian

            Cette femme est bonne vraiment et je voudrais qu elle sache combien elle me touche.
            Alice Tedal [?] écrit aussi ce matin pour avoir des nouvelles et ton adresse pour t’envoyer un paquet. Je vais lui répondre. Oncle Auguste [sans doute Auguste Margarot Mourrier, le mari d’une cousine éloignée du côté Médard]  demande des nouvelles et j’écris j’ecris jusqu’à en avoir la crampe.
            Je suis pourtant restée au lit ce matin, pr cause de purgation. J’en ai les jambes tout affaiblies et ce soir je tire encore l’aiguille pr Suzie.
            As-tu reçu son envoi de Mezat [?] ? elle ne sait aussi que faire ta petite sœur. Sa taille commence à bien s’arrondir et ns élargissons les coutures. Tout à l’heure je parlais de nos projets de compagnie avec toi ; toute attristée elle a répondu : Moi qui me berçais de l’illusion que c’est chez moi que Jean préférerait venir…
            Hugo ne sait où donner de la tête tant le travail est intense en ce moment. Il rentre a des heures indues et repart de même.
            Je n’ai pas vu les Benoît ces derniers jours ; la pluie ns retient ici où il fait bon et où rien ne m’empêche de penser à toi.
            Je voudrais des détails sur ta pauvre vie. Tu es bien laconique, mais sans reproche, je comprends que tu ne peux pas.
Mes tendresses et bons baisers.

Ta maman
Math. P. Médard

Verdun, 6 mai 1915 – Jean à sa mère

Verdun, 6 mai 1915
Maman cherie 

Que dirais-je aujourd’hui de ma vie monotone. Tout est toujours la même chose c’est-à-dire très bien. Je ne soupire qu’après le depart, dont je me crois très près. Aujourd’hui avec Mr Barraud est venu Armand Bergis qui a été vraiment charmant. Il est lieutenant et se bat depuis le debut de la guerre ce qui le rend un peu bas. J’ai presque completement changé de voisin de lit, et je suis maintenant sinon le + solide, du moins le moins fiévreux et le mieux portant de ma salle.
Mille tendresses

Jean

Je reçois à l’instant tes lettres du 3 et du 4. Merci. Je dors la nuit. Je suis dépouillé sans plante des pieds. Aucune fièvre. Baisers.
J.M. 

mardi 5 mai 2015

Sète, 5 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette, le 5 mai 1915
Mon bien chéri 

J’ai eu joie et peine ce matin au reçu de ta carte. Joie profonde de sentir le mieux s’accentuer et peine pour toi profonde de voir s’allonger les jours dans cette monotonie et cet ennui désespérants. Pauvre cheri de moi !
En raccommodant des chaussettes toute l’après-midi avec Suzie ns ns disions combien ce vilain travail ennuyeux serait rendu attrayant en le faisant près de ton lit. Encore quelques longs jours patiemment supportés. Je ne me doutais pas en te quittant qu’ils seraient si nombreux.
Tu ne me parles pas de tes granulations. En souffres-tu encore ?
J’ai eu une longue lettre de Berthe Auriol, hier au soir, elle me dit une chose qui m’a bien émue c’est qu’Yvonne Laporte a songé à venir te voir à Verdun, mais on lui a dit que ton Hopital était trop éloigné. C’est si touchant qu’elle ait pensé à toi. Son mari [Alfred Laporte] est mort en heros. Blessé à l’oreille et au menton il a continué à se battre une autre balle l’a atteint au côté, il est demeuré à la tête de ses soldats, la troisième a eu raison de lui.
Jean Almairac est à Mazamet ou il apprend le métier de soldat. Il fait les bouchées doubles me dit sa femme puisqu’il n’a que deux mois d’apprentissage, et il est bien fatigué (le pauvre). As-tu su le bombardement de Dunkerke. Comment concevoir pareille destruction par des projectiles lancés à 25 kilomètres ?
Tante Fanny m’a fait parvenir une lettre de Mme Nick donnant de tes nouvelles après la visite de son mari. Il a assisté a ton repas dit elle composé d’œufs froids. J’ai vu à cela qu’il n’y avait rien de changer et j en ai eu serrement de cœur.
Ce serait si consolant de te faire de bons petits plats fortifiants. Mais cela viendra bien n’est-ce pas mon chéri !
Je voudrais écrire au major pr le remercier de ses bons soins. Mais je ne veux rien en faire si cela te contrarie, dis le moi en me donnant son nom et son titre. Donne moi aussi l’adresse de Maury, je n’ai pu lui écrire ayant perdu l’enveloppe ou elle était inscrite.
Insiste pour être évacué dans le vrai midi tu peux bien le lui demander puisqu’il est si bon pr toi.
Bonsoir mon fils, bonne nuit. As-tu un meilleur lit ! dis moi si tu te remplis un peu.
Chaudes tendresses

Ta mère bien affectionnée
Math P. Médard