jeudi 31 décembre 2015

Plélo, 31 décembre 1915 – Jean à sa mère

Plélo 31-12-15
            Maman cherie 

            Cette mer si calme cadre mal avec le caractère chaotique de cette côte, dont je t’ai parlé à mon dernier sejour.
            Je ne sais pas du tout comment remplir les journées de demain et de Dimanche. Ah ! si Cette était plus près. Temps exécrable ce matin, plus convenable ce soir.  Je suis maintenant tout à fait installé à Plélo. 

Jean

mercredi 30 décembre 2015

Plélo, 30 décembre 1915 – Jean à sa mère

Plélo, 30-12-15
            Maman cherie 

            Tu vois que je suis de nouveau à Plélo, toute la 30e Cie y a deménagé ce matin, et a chassé la 29me, qui elle, nous remplace à Châtelaudren.
            J’ai repris mon ancienne chambre. J’aurai ds l’ancien cadre de Plélo, la même vie qu’à Châtelaudren.
            J’ai reçu ce matin les photos.
            On ne parle pas encore de depart pour nous. Je viens de recevoir une longue lettre de Loux avec des tas de details interessants sur sa vie. Ils sont reçus lui et sa sœur [Madeleine Loux] par les Agassis. J’ai écrit à tante Jeanne [Beau, née Médard] et oncle Marc [Benoît].
            Je ne sais pas du tout ce que je ferai le 1 janvier et le 2. Je pense que je resterai ici.
Bien tendrement à vous tous 

Jean 

Cette carte vous arrivera en 1916. Nos vœux sont les mêmes : la victoire, la paix, le revoir.

mardi 29 décembre 2015

Châtelaudren, 29 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 29 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Voilà la vie de depot qui recommence. J’ai encore trouvé un message de la maison, le paquet fait avec tant de soin. La galantine sent très bon. Je suis sur qu’elle sera bonne. Merci aussi pour tout le reste. Merci surtout pour ces bonnes bonnes heures que nous avons passées ensemble. Que c’est précieux, le foyer !
            J’ai fait un excellent voyage. A Paris très bonne journée, toujours le même programme. Repas à la faculté, visites à Mlle [Léo] Viguier, réunion avec les amis de la Federation. Ici nombreuse correspondance, lettres de [René] Cera, [Daniel] Loux, Mme Goguel [Jeanne Nyegaard épouse de Maurice Goguel], [Paul] Conord, etc., etc.
Bien tendrement à vous tous 

Jean

 

lundi 21 décembre 2015

Châtelaudren, 21 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 21-12-15
            Maman cherie 

            C’est avec le cœur bien gros que je t’ai envoyé ma dépèche de ce matin. La journée d’aujourd’hui t’aura apporté comme à moi une grosse deception. Oui, j’étais presque sur de cette permission qui me permettrait de passer avec vous la veille de Noël, et elle m’a été refusée. Voilà pourquoi. On a donné des permissions de 4 jours par serie 21 Dec.-24. 25-28. 30-2 Janvier. 3-6 Janvier. Comme aucune série ne me permettait de passer à Cette le 24, j’ai demandé une permission entre series, croyant que pour un gradé il n’y aurait pas de difficultés. Le commandant a refusé de la signer. J’en suis quitte pour demander une permission normale, la serie 25-28. Mais si on ne m’autorise pas à prendre le train du matin le 24, j’arriverai à Cette le 26 à 7 heures (au lieu du 25 à 11 heures) et repartirai le lendemain soir 27. Je trouve que ça vaut encore la peine. Qui sait quand nous nous reverrons autrement ?
            Tout ça bien entendu si je ne suis pas parti pour le front d’ici là.
            Si tu trouves que ce n’est pas raisonnable de venir à Cette pour si peu de temps, telegraphie moi ici jusqu’au 24. A Paris (Faculté 83 bd Arago) à partir du 24 au soir.
            Je suis fatigué ce soir, je vous embrasse tous bien tendrement et pense avec tristesse à cette Noël que je passerai encore loin de vous, mais près de vous par le cœur, et, peut-être, en route pour vous retrouver. 

Jean 

            J’espère pouvoir raconter de vive-voix ma belle journée de Dimanche à Perros-Guirec.

vendredi 18 décembre 2015

Châtelaudren, 18 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 18-12-15
            Maman cherie 

            Je ne sais pas exactement comment vont s’arranger les permissions pour la Noël, je ne suis même pas sur de ne pas être parti d’ici là sur le front, mais il n’est pas impossible non plus que je puisse venir à Cette pour 3 ou 4 jours. Si les choses s’arrangent comme je le voudrais, je serai à Cette Mercredi 22 Decembre à 11 heures du matin et j’en repartirai le 25 au soir, à 5 heures, 20 comme la dernière fois. Même si je devais avoir un jour de moins et n’arriver que le Jeudi, je viendrai. A moins que tu ne trouves que c’est une folie de faire pour 3 jours la depense d’un si long voyage ; mais je pense que tu trouveras au contraire comme moi que ça vaut bien la peine, de passer les fêtes ensemble.
            A bientôt peut-être la joie de t’embrasser. 

J. Médard

jeudi 17 décembre 2015

Châtelaudren, 17 décembre 1915 – Jean à sa mère

Vendredi 17 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Je viens de recevoir ta bonne lettre du 14, merci beaucoup. Mon départ sera probablement plus lointain que ce que je pensais. Le 132e en a encore pour quelque temps avant d’être reformé ; mais si les hommes lui manque il est amplement pourvu de chefs de section. C’est dire qu’il est encore pour quelque temps au repos, et il n’aura pas de pertes pendant ce temps. Il n’est pas sur que nous soyons changé de regiment. Je ne sais donc pas ce qu’on va faire de nous.
Une de mes dents de sagesse me faisait mal. Je viens d’aller voir le dentiste, qui me l’a arrachée tout de suite. Je n’ai absolument rien senti. La carie était très avancée et un abcès n’aurait pas tardé à se produire. Je suis tellement content d’avoir ainsi été operé sans douleur que je lui ai demandé d’enlever l’autre de la même façon la semaine prochaine. Dentiste merveilleux.
Dimanche je pense aller à Perros-Guirrec. Pour Noël je ne sais pas combien de temps on aura.
Tendrement 

Jean

lundi 14 décembre 2015

Châtelaudren, 14 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 14 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Depuis mon retour de permission mes messages ont été des plus laconiques, j’ai passé pourtant deux journées bien intéressantes, celle de Paris et celle de Paimpol.
            A Paris, comme je te l’ai dit j’ai vu Mme [Aline] Ménard Dorian. Elle ne s’est pas plaint de n’avoir rien reçu de nous et je ne lui ai rien dit à ce sujet. Nous avons surtout et longuement parlé de la guerre. Evidemment, malgrès sa fortune, ce n’est pas une bourgeoise. Elle a une ame de tendresse pour le peuple et en general pour l’homme. Aussi cette guerre est pour elle une epreuve particulierement grande. Avec ça elle est interessante et intelligente, bien que parlant avec trop de plaisir. Elle m a donné deux tubes, un que j’ai mangé : salade d’ananas au kirsch, l’autre du pate de volaille que je n’ai pas mangé. La presentation de ces repas est originale, on se demande  toujours s’il ne va pas sortir de ces tubes de la vaseline ou de la pate dentifrice, mais c’est très bon quand même. Elle m’a donné aussi, ce que tu apprecieras, toi, tout particulièrement des pastilles de chocolat à la Kola. 3 de ces pastilles ont la valeur d’un repas. Je n’ai pas eu le temps d’aller voir Mme [Marie] Hugues, ayant rendez-vous au cercle avec plusieurs amis.
            Je me suis décidé à aller à Paimpol ne sachant trop que faire de mon Dimanche. ça fait des frais, mais je suis pour peu de temps en Bretagne, je veux tirer du pays tout ce que je puis avant de partir. Donc je suis parti Samedi soir avec l’idée d’aller à Perros-Guirec. Mon itinéraire étant mal combiné, en route je me suis decidé pour Paimpol. J’y suis arrivé assez tard. Rien d’extraordinaire, un petit port Breton triste. Le soir à l’hotel, un type extraordinaire grand et brun parle de l’ile de Brehat, je lui dis que mon intention était d’y aller le lendemain, il y allait lui-même, je rejouis d’avoir un compagnon de route, me présentera à sa femme et à sa belle-sœur. Ns montons le lendemain matin ds une patache qui nous conduit à quelques maisons d’où on embarque pour l’ile. La route longue de 7 kil à des aperçus très beau sur la mer, mais je ne voyais tout cela qu’à travers un rideau de pluie, un vrai deluge. Mon compagnon de route de plus en plus exuberant raconte à chacun sa vie et ses aventures. Vie de colonie, il a vue l’Algérie, le Senegal, le Congo, l’Indo-Chine. Le plus fort c’est que je crois qu’il ne mentait pas. Il avait bien l’air de connaitre ces pays. Par-dessus le marché il est aviateur, au debut de la campagne il était automobiliste, il conduisait un colonel. Il s’est fait amocher, a reçu une balle ds la figure. Le fait est qu’on voit la cicatrice, que son nez est decollé, et qu’il enlève ses dents pour les montrer à tout le monde. Il m’amusait beaucoup plus qu’il ne m’était désagreable. Sur ces entrefaites nous arrivons à l’embarquadère, la pluie avait cessé. On attendait le bateau, une petite barque à voile. On embarque. Vent violent. Roulis et tangage. Traversée courte mais très amusante. Paquets de mer, cris des dames, etc. Ile assez plate balayée par le vent, on se demande comment elle n’est pas balayée par les vagues aux fortes marées, malgré ses étendus. Bloc granitique, mer verte, cote bleu, mouettes, rochers noirs, recifs, maisons basses. Mon compagnon m’amène au seul hotel de l’ile ouvert en cette saison. Il est reçu très mal par sa femme et sa belle sœur, genre un peu special pas absolument leger mais pas absolument comme il faut cheveux teints, la maman pourtant allaite un gosse. La belle sœur a 7 enfants. Ces deux femmes tombent sur le dos de mon pauvre ami et l’engeulent tout le long du repas. Elles le traitent carrement d’idiot et de crétin ; il a en effet demoli l’auto de sa femme et fait bien d’autres bêtises. Après déjeunes nous allons ns promener tous les deux dans l’ile. Mon aviateur monte sur une vieille tour dont il ne peut plus descendre. Je vais chercher une echelle ds une ferme voisine. Je repars à 2 heures ½. Traversée beaucoup plus calme. Retour à pied à Paimpol. Je tombe sur une fête religieuse. Procession dans les rues pavoisées. Promenade de bannières brodées, d’un bateau porté par de petits mousses, d’une grande sainte vierge. Tout le clergé, tout le pays suit en chantant un chant triste, les femmes en coiffe.
            A Guingamp je rencontre [Alfred] Bruneton tout seul sa femme [Elisabeth Médard, épouse Bruneton] étant rentrée à Paris, dine à l’hotel avec lui et quelques autres officiers. J’ai longuement causé avec lui. Très intelligent. Très gentil. Je l’aime mieux que sa femme.
            Ici la vie toujours la même. On ne parle pas de depart ces jours-ci. Il se trouve que le 132e est complètement reformé et qu’il ne manque pas de chefs de section. Résultat : je vais être envoyé dans un autre regiment. Il est en effet peu probable qu’on me laisse bien longtemps ici.
            Il n’y a pas à regretter d’avoir demandé une permission plus tôt. On tient toujours ça, peut-être je n’aurais pas pu l’avoir plus tard, et elle a été bien reussie.
Tendrement à toi

Jean

            J’ai écrit à tante Jenny [Scheydt, née Roux]. Je ne te parle pas de la mort d’oncle Charles [Scheydt], je le considérais comme mort à mon depart de Cette. Sous quelle forme faut-il faire la procuration que tu demandes ? Est-ce sur papier timbré ou sur une simple feuille ?
            Je ne me relis pas, j’ai trop sommeil. Excuse le décousu de cette lettre.

samedi 12 décembre 2015

Entre Paimpol et Guingamp, 12 décembre 1915 – Jean à sa mère

Ligne de Paimpol à Guingamp. 12 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Je viens de passer une bonne et etrange journée de Dimanche. Je suis allé me promener tout seul à Paimpol. Parti hier soir, arrivé tard ds la petite ville Bretonne, j’en suis reparti tôt pour l’ile de Brehat. Trajet pluvieux en diligence, puis traversée très mouvementée en bateau à voile. Dejeuné ds un hotel de l’ile et promenade rapide à travers l’ile avec un compagnon de fortune à moitié toqué. Il est monté sur une vieille tour dont il ne pouvait pas descendre, je l’ai sauvé en allant cherchant une échelle. Je l’ai ensuite laissé dans l’ile à son malheureux sort, c’est à  dire avec sa femme et sa belle sœur qui lui disent des sottises et le traitent de crétin. Il s’appelle Mazoyer de la Garenne de Lambert[1]. Traversée de retour + calme malgrès le mauvais temps. A Paimpol fête religieuse, procession, très curieux. Je vais diner ce soir à Guingamp chez les Bruneton.
Rien de nouveau pour le départ
Tendresses

Jean

[1] Jean écrit Mazohier.

jeudi 10 décembre 2015

Châtelaudren, 10 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 10 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Ma première pensée en arrivant ici est pour toi. Je n’ai encore vu personne et n’ai aucune idée sur la date du depart. Un bon voyage a terminé ces bonnes journées de paix et d’intimité. Hier matin je suis arrivé à Paris avec 2 heures de retard. J’ai pu quand même laisser mes affaires à la fac et courrir rue de Trévise pour prendre rendez-vous avec tous les amis. Dejeuner à la faculté presidé par Madame [Suzanne] Monnier, toujours aussi gentille, table bien vide. J’ai manqué de trois jours [Edmond] Mercier, et de 2 jours [Charles] Grauss en permission. Après dejeuner j’ai courru ches les W. [Wilfred] Monod avec qui j’ai encore pu passer une bonne heure. De là, rue de la Faisanderie, j’ai été reçu avec une cordialité qui m’a touché, suis resté assez longtemps. Elle [Aline Ménard-Dorian, une tante de Jean] m’a embrassé en me disant adieu et m’a donné des « pastilles à la kola ». Tu seras contente. De la à au cercle des etudiants où j’ai passé la soirée avec plusieurs amis reunis par Mlle [Léo] Viguier, [Roger] Jézéquel, Charles Westphal, [Frank] Suan, Mlle Kellermann etc. Diner à la faculté. A la gare Montparnasse j’ai encore trouvé Mlle Viguier toujours fidèle, et me voici, encore un peu abruti par le voyage.
Je t’embrasse tendrement 

Jean

Comment va oncle Charles [Scheydt] ? J’ai toujours devant les yeux le sourire de la petite.