dimanche 8 novembre 2015

Plélo, 8 novembre 1915 – Jean à sa mère

Plélo, 8 novembre 1915

            Maman cherie 

            Je viens de recevoir la bonne lettre de Suzon. On sent bien qu’elle va mieux, alors même qu’elle ne le disait pas. Je suis bien heureux que [le docteur Adrien] Batailler soit là et puisse la voir ; ce doit être une bien grande tranquilité pour vous tous. Ne t’excuse pas de m’abandonner ; je le comprend trop bien et suis heureux malgré tout pour toi de cette tache qui est ta fatigue, mais ta joie. Tu ne m’as pas reparlé des photos de Mr Pont. Est-ce que vraiment toutes sont ratées ? Les as-tu vu toutes ? Reçu une carte de Demont ; tu as du la voir puisqu’elle est passée par Cette.
            Hier Dimanche je suis allé à Guingamp. Les Bruneton m’y invitaient. Raoul était en permission. J’ai vu d’abord Babut quelques minutes avec son jeune frère, aspirant d’art. à Reims, qui était venu le voir. Ils vont repartir pour le front cette semaine l’un et l’autre, chacun de son côté. Ils allaient à Paimpol. Je les ai laissé, ai retrouvé le lieutenant Mouret, celui avec qui je suis parti pour le front et me suis promené un moment en ville avec lui. Puis j’ai rejoint les Bruneton. Raoul avait été réformé, il est engagé dans les auto, et s’occupe de l’évacuation des blessés dans l’Artois. Il est grand et a bonne mine. Je ne sais pas quel type c’est n’ayant pas causé seul avec lui. Son père est gentil, bien qu’agaçant avec ses idées monarchiques, sa mère est vraiment prétentieuse. A part ça ils sont charmants et me reçoivent avec la plus grande simplicité. J’ai déjeuné chez eux avec le commandant du depot de remonte et sa femme, brave gens un peu vulgaires. C’était la fête du petit fils Hubert et pour ses 3 ans, il y avait gateaux et bougies et joie dans les yeux du gosse.      



            Source : Mémorial GenWeb

            Je suis reparti à pied à 5 heures, trouvant trop tardif le train de 11 heures, j’ai fait à pied le soir, la nuit une delicieuse promenade solitaire par des chemins inconnus que l’obscurité rendaient mystérieux. Aujourd’hui je suis  un peu abruti par ma première piqure anti-typhoïdique non que j’ai de la fievre ; mais on nous a donné des comprimés de quinine, sans eau. Je n’ai pas pu avaler le mien, et j’ai une amertume de la bouche qui m’empêche même de penser.
            Le reste du temps la vie s’écoule toujours la même. Heures de calme, de paix, de communion avec tous les absents ds ma chambre. Ou bien promenades avec mes hommes, le plus souvent ds la boue et sous un ciel bas.
           J’ai appris la mort d’Edouard Gonin, cousin germain de [Pierre] Maury. Il était disparu depuis le tout debut de la guerre. Il est mort à Metz après un an de captivité, ds l’isolement le + complet, ses parents ne sachant absolument rien de lui et lui d’eux ; eux le croyant mort alors qu’il agonisait longtemps et seul ds un hopital. Loux est ainsi privé par cette mort et celle de René Duntze de deux amis d’enfance [tous les trois grandis à Reims].
            Léo est nommé contre son grés, aumonier militaire, et quitte l’Alsace. C’est Monnier qui a fait ça croyant lui faire plaisir.
            Adieu, maman chérie, adieu vous tous mes biens aimés 
Source : Mémoire des hommes
Morts pour la France de la Première guerre mondiale
 
Jean