jeudi 24 septembre 2015

Gérardmer, 24 septembre 1915 – Anna Benoît à Mathilde

Gérardmer, le 24/9

Ma chérie, je pense qu’il te tarde d’avoir des nouvelles de l’opération de notre chéri [son fils Pierre Benoît, cousin germain de Jean] et n’ayant pu le faire hier soir, je le fais vite aujourd’hui. Ns avons passé 2 heures d’angoisse bien grande, on est venu prendre notre pauvre garçon après 11 h. et on ne l’a rapporté qu’à 1 h moins le ¼ ; ce qui fait que cela a été si long, c’est qu’on l’a platré, qu’une première fois c’était trop petit et qu’il a fallu recommencer et laisser sécher ; ms ns qui ne le savions pas, c’était bien long !! On a drainé l’abcès inter osseux ce qui explique la hausse de température et c’était urgent de faire cette opération ! cela suffira-t-il ? les majors ne peuvent encore se prononcer : oh cette attente et cette angoisse, quand Dieu permettra-t-Il qu’elle soit écarté ! Le pauvre a atrocement souffert pdt 2 heures et puis les gémissements ont cessé, les crampes aussi et la nuit a été calme grâce à une piqure de morphine. C’est Laure [la sœur de Pierre] qui l’a veillé, elle le veille encore ce soir et ils en sont tous deux bien heureux.
Aujourd’hui il est assommé par tout l’éther qu’il a absorbé, bcp plus que hier aussi le pauvre n’a pas de la joie qu’il aurait eu s’il avait été mieux ; ce soir à 5 h, le colonnel est venu le décorer à nouveau et lui apporter la croix de la légion d’honneur et une autre avec palme. Il l’a lui épinglé sur la poitrine et l’a embrassé en lui disant que cette croix si glorieusement gagnée aiderait à le remettre bien vite. Jamais je crois ns ne saurons tout ce qu’il a fait notre Gros [?], il ne ns avait même pas dit qu’il avait eu 2 citations à la brigade et 2 à l’armée. Ses amis disent qu’il a été admirable de courage et de dévouement, jusqu’à prendre à des moments très durs le commandement de sections privées de leur chef. Et maintenant après cette vie si active, si belle, le voilà cloué pr des mois peut être ds son lit ; mais si je le plains le pauvre de toute mon âme, je bénis Dieu de me l’avoir ramené, et je Lui demande ardemment de permettre que tout aille bien maintenant. C’est la température qui va de nouveau être notre angoisse journalière, ah ! si elle pouvait baisser ; quelle reconnaissance et quelles prières d’actions de grâce je ferai monter vers Celui qui peut tout ! Tu seras bien gentille de faire passer cette lettre à Jenny[1], quand j’écris à l’une c’est pr les deux. Ds 2 jours je lui écrirai à elle ; embrasse la bien pour moi.
Tu sais par expérience ce que c’est que cette correspondance, de tous côtés on m’écrit et je veux répondre un peu à tout le monde. Laure m’aide bien, ms ns ne laissons jamais Pierre seul. J’espère le pauvre arrivera à dormir cette nuit, depuis 20 jours il n’a pu ainsi dire par dormir et depuis son opération pas du tout. Oh ! comme son père serait heureux et comme je le plains en ce moment encore plus, alors qu’il ferait si bon être réunis ! ms Dieu permet peut-être que nos bien-aimés partagent nos joies !
J’espère que tu vas bien et tous les chers tiens aussi ; si vous lui écrivez à notre Grand vs pouvez parler de son opération, ms ne faites aucune allusion à ce que l’on peut craindre encore. Je te laisse maintenant, j’ajouterai un mot demain pr donner des nouvelles de la nuit.
Chaudes tendresses à vous tous

Ta vieille Anna

[1] Jenny Scheydt (1862-1943), née Roux mais dont la mère était Fanny Leenhardt, une cousine germaine de Mathilde.