lundi 18 mai 2015

Sète, 18 mai 1915 – Mathilde à son fils

Cette le 18 Mai 1915
           
Ci-joint, mon grand chéri, une carte de Léo qui j’ai ouverte par mégarde, excuse-moi.
Je suis venue chez nous un moment pr écrire tranquillement pendant que Suzie et Madou allaient voir tante Anna et Mme Pont et bien que la maison soit d’un calme attristant, je la retrouve tjours avec un sentiment de joie intense. J y fais ce que je veux, j’y pense surtout bcoup à toi et je pense à celui qui nous comble de ses bontés. J éloigne de moi, le  plus possible, tout sentiment mauvais, toute rancœur et je te dis cela parce que tu sais que c’est mon mal. Je m excuse parfois à mes propres yeux en me disant que les mauvais caractères ont une âme trop sensible. Ce n’est pas très juste, pas vrai ?
Encore une joie, c’est la lettre d’Aline Ménard que je trouve à l’instant en boite. Voici ce qu’elle me dit :
Votre fils est admirablement bien soigné par un ami de mon ami intime le Dr Françon. Françon a vu Jean l’a trouvé en très bonne voie. Il le prendra sous peu à Aix-les-Bains dans son ambulance où il sera dorloté, choyé, gâté comme le serait mon Jean à moi [Jean Hugo, petit-fils d’Aline Ménard-Dorian et arrière-petit-fils de Victor Hugo, cousin issu de germain de Jean].
J’irai le voir et si vous allez d’abord à Chambery vous serez satisfaite. En hâte… je pars demain pour Londres. Je vs envoie mes amitiés et mes vœux pour vos 3 enfants… en attendant ceux qui viendront et que je vous souhaite.
Voilà, c’est parfait, c’est bon, c’est reconfortant et maintenant je ne regrette plus rien. Je viendrai à toi quand tu me le diras. Vite comment vas-tu ? Je ne le sais pas aujourd’hui.
Mille baisers

Ta maman
  
Flashback 

            J’avais des rapports plus lointains avec des parents plus proches chez qui j’ai pourtant été invité plusieurs fois. Lui, Paul Ménard, était le cousin germain de mon père. C’était un homme assez effacé car sa femme occupait toujours le devant de la scène. Grands bourgeois à idées avancées, ils habitaient un hôtel somptueux rue de la Faisanderie.

Je ne dépeindrais jamais aussi bien la maîtresse de maison et le salon politique qu’elle présidait que ne le fait Louise Weiss dans ses « Mémoires d’une Européenne » (p 136-137). « Dans son magnifique hôtel particulier Madame Ménard-Dorian poussait le snobisme de révolution jusqu’à régaler avec les revenus qu’elle tirait de ses forges, les protagonistes de la IIème  internationale. Mécène et anarchiste, sectaire et artiste, cette grande dame qui avait été fort jolie s’intéressait aux talents inconnus. […]. Elle avait marié sa fille unique Pauline, à Georges, le petit-fils de Victor Hugo – union qu’elle avait préparée de longue main, séduite par cette manière d’alliance avec le proscrit de Guernesey. [...]»

C’est pendant cette dernière période, avant et après la guerre que je l’ai connue. J’ai déjeuné chez elle une fois avec Henriette Psichari, la fille d’Ernest Renan, et deux de ses enfants, une autre fois avec quelques vedettes de la politique, des lettres ou des arts, des Bertholet, des Langlois. Je n’y ai jamais rencontré Pauline qui devait être alors plus ou moins brouillée avec sa mère. Son accueil était toujours aimable, mais, comme jeune étudiant en théologie si j’étais admis comme parent je devais être classé d’emblée parmi « les ennuyeux ». 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (2ème partie : Enfance et jeunesse)