samedi 30 mai 2015

Chambéry, 30 mai 1915 – Jean à sa mère

Chambery 30 Mai 1915
Maman cherie 

            Je continue à vivre dans ma chambre ensoleillée avec le même programme, le même regime, le même horizon, les mêmes voisins. Tu me demandais dans une de tes lettres des renseignements sur ces derniers. J’espère que tu pourras bientôt te renseigner toi même. Ils ne sont pas desagreables, ns sommes en très bons termes, mais il n’y a absolument aucun lien entre eux et moi. Ce sont des ouvriers Parisiens. Je les aimerais mieux ou moins civilisés ou plus fins.
            L’un sergent parle beaucoup de lui de ses exploits, de ce qu’il sait, etc – il en coupe la parole même aux infirmières. Comme il a la parole facile et une certaine allure ces dernières ne savent plus s’il est electricien ou ingenieur electricien, elles lui apporte des livres très sérieux. Il remercie vivement, les rend sans les avoir lu pretextant que le mal à la tête l’empêche de lire et devore des romans pornographiques quand elles ne sont pas là.
            L’autre est le gavroche parisien sur lequel la vie a un peu passé. Il est plus simple et très amusant. ils font des plaisanteries sales et bêtes, ont la mentalité de leur milieu sur la morale sexuelle et tout le reste – au demeurant les meilleurs fils du monde, serviables, gais, courageux devant la souffrance.
            Maintenant que tu annonces ton arrivée comme prochaine il me tarde beaucoup de te voir venir.
            Mme Depuiboube ne peut plus te recevoir chez elle à coucher, elle a une amie, je crois, mais à manger, oui. Je lui ai dit que tu n’accepterais qu a condition de la faire au moins rentrer dans ses frais ; elle a fini par accepter. Elle te trouvera peut-être aussi une chambre à sous-louer où tu serais + à l’aise qu’à l’hotel.
            Depuis 2 jours il me semble que je vis un peu plus. Non que l’immobilité me pèse, mais j’ai envie de reprendre ma correspondance, de me raccrocher à des tas de choses que j’ai abandonné depuis mon accident, et peut-être depuis que je suis soldat. A certaines heures je voudrais travailler. J’espère ne pas me rendormir avant d’être reveillé tout à fait.
Adieu, Maman cherie,
tendrement à toi

Jean