samedi 21 mars 2015

Sète, 21 mars 1915 – Mathilde à son fils

Cette le 21 Mars 1915
Villa de Suède
Mon fils chéri bien aimé

Ces lignes  ne te parviendront peut être jamais car on ne sait pas plus à Avignon ton affectation que moi-même ne la sait, mais il faut que je t’écrive, je ne puis autrement, il y a huit jours que je n’ai pu le faire et Dieu sait ce que cela est dur.
Je t’ai suivi heure par heure moments après moments dans ce long et fatiguant voyage et je puis t’assurer mon Jean que je ne cesse de penser à toi une seule minute du jour. Nos pensées se croisent n’est ce pas mon bien aimé car je sais surement aussi que tu es auprès de ta mère autant qu’il est possible et Dieu est avec toi.
En ce matin ta troisième carte daté du 15 Lundi ; arrivée deux jours après celle du 16 m’annonçant ton arrivée le 12 M. au point de débarquement et j’attends impatiemment des détails et surtout ton adresse pr t ecrire et t’envoyer quelques provisions.
Nous sommes cette après-midi à la villa très tranquillement ou je vais faire quelques lettres retardées par ton départ qui m’a laissée un peu désemparée. C’était prévu n’est ce pas. Mais ce n’était pas là et maintenant le moment est arrivé ! Et je prie Dieu de toute mon âme à tout instant pr qu’il te donne force courage endurance et pr qu’il te garde de tout mal… comme je te le disais dans une précédente lettre. Je veux certainement que tu fasses ton devoir et cela je sais que tu le feras mais je te demande mon bien aimé Jean, de ne pas t’exposer inutilement et de te garder à ma tendresse.
J’ai eu une bonne lettre de tante Fanny qui attend ton adresse impatiemment. Quand tu le pourras envoie lui une carte, tu sais elle t’aime bien… Dis moi ce qui te manque ? As-tu pris tes jumelles.
Il y a au Lazaret un sergent du 132ème qui me lit des lettres touchantes de son lieutenant. J’espère que tu rencontreras beaucoup de braves et de vaillants aussi qui t’aideront aux heures difficiles, surtout que tu n’aies pas à souffrir trop cruellement de ton isolement. Je supplie Dieu qu’il en soit ainsi.
Suzie est revenue bien heureuse de t’avoir embrassé et maintenant je l’envie, de toute mon âme, mais tout est bien aussi puisque tu ne le désirais pas, ce que j’ai compris.
J’ai appris ce matin par le journal la mort de Jules Binet. Je plains bien Gabrielle [Leenhardt, cousine germaine de Mathilde] mais pr lui c’est une délivrance.
As-tu su que un de nos croiseurs a été coulé dans les Dardanelles Le Bouvet et le Irresistible Gaulois hors de combat.
Je ne t’écris pas longuement n’étant pas sûre que ces lignes te parviendront. J’espère pouvoir le faire longuement un de ces jours. Je veux t’embrasse mon aimé et aussi je te serre en pensée sur mon cœur en te recommandant à notre Père céleste.

Ta mère bien affectionnée
Math P. Médard