samedi 20 décembre 2014

Train sanitaire, décembre 1914 – Albert Léo à Jean


(Je prends une feuille pour finir ma carte) [La carte en question manque, la date de cette lettre n’est donc pas connue, mais le texte montre qu’elle a été écrite peu avant Noël.]
A Lyon j’ai vu un moment le petit Stahl, si gentil et affectueux, hurluberlu qui aurait besoin d’un guide plus qualifié que Fontaine.
Sais-tu ce que je regrette sans cesse : c’est que nous ne formions pas une bande de brancardiers volontaires sur le front. Ceux qui y sont tirent en général admirablement au flanc, à ce que me disent les blessés. Le fait est qu’on ne peut faire faire par ordre un métier si ingrat. Ça devrait être une vocation.
Mais chez nous, on gaspille énormément et on gaspille entre autre criminellement cette denrée précieuse qui s’appelle les énergies morales. Chacun de nous isolément s’obstine inutilement dans une pseudo action stérile. Ensemble nous ferions des merveilles, oui, des merveilles, parce qu’animés du même esprit, tendant au même but, renonçant à nous-mêmes. Les Anglais, eux, ont admis les engagements spécifiques par corps, par écoles, parce qu’ils savent qu’il y a des réalités spirituelles. La guerre exige moins des unités que des puissances. Le pays qui le méconnait en souffre forcément. C’est notre cas.
J’ai reçu le « Semeur ». Et toi ? Les pages de Grauss sont vraiment belles et vraies. Ce que je lis ailleurs sur la guerre est souvent du fatras.
As-tu de quoi lire ? En veux-tu ? Quel genre ? Du facile.
Mon pauvre vieux Coco, ceci t’arrivera aux environs de Noël. Quel Noël ? Ça me hante. Il faudrait s’occuper ou s’enterrer toute la journée ce jour-là.
J’ai eu à veiller 2 nuits de suite mes blessés dans mon train, de Pagny s/ Meuse à Grenoble. Il faut avoir avec eux des précautions minutieuses, dont ils sont reconnaissants et on regrette d’avoir à les débarquer au bout sans plus les revoir. Ils ont en général un courage épatant. L’un d’eux est mort en route. Je l’avais un peu engueulé quelques heures avant parce qu’il crachait sur ses voisins, et qu’il délirait un peu. C’était un peu injuste.
J’ai lu patiemment les 2 volumes de Bourget : Le Démon de midi. Ça ne vaut pas le coup, il traite comme un roman un problème religieux des plus intéressants, et on est volé.
A Arcachon, ma femme s’occupe beaucoup  des recherches des disparus (bureau de Genève) auxquels elle collabore je ne sais trop comment.
T’ai-je dit que j’ai vu plusieurs fois Tony Burnand partant comme médecin auxiliaire aux Dragons, au 21ème corps. Et Raymond Castelnau 10 minutes à Nancy. Ça m’a fait plaisir de voir ces braves gens, un peu superficiels.
Je finis ma lettre car je suis envahi par des camarades. J’ai une table dans mon compartiment où je peux écrire et une lampe où je me chauffe les pieds.
Je penserai bien à toi à Noël et je pense du reste bien souvent à toi en tout temps. Soyons fermes et persévérants ne nous laissons pas entamer par cette vie anormale.
Au revoir mon cher Coco.

Ton vieil ami
Léo

lundi 15 décembre 2014

Décembre 1914 – Pont-Saint-Esprit, Jean Médard et René Cera

 

 
  René Cera (1895-1992)
 
     Jean Médard ne parle de Cera ni dans ses mémoires, ni dans les lettres écrites de Pont-Saint-Esprit.
     Pourtant, dans les années qui suivent, Jean informe sa mère quand il a des nouvelles de Cera, son "ami peintre du 55".
     C'est donc qu'il avait parlé de lui à sa famille (sans doute pendant sa permission lors des fêtes), et que Cera et lui avaient sympathisé suffisamment pour continuer à correspondre (c'est le seul correspondant qu'il mentionne qui ne soit ni un membre de la famille, ni un camarade de la Fédé). 
 


jeudi 11 décembre 2014

Pont-Saint-Esprit, 11 décembre 1914 – Jean à sa mère


Pont-St-Esprit Vendredi 11/12 14
            Ma chère Maman 

            Me voici de nouveau à Pont-St-Esprit. Il me tarde de te donner de mes nouvelles et pour cela je me suis vite precipité dans mon ancienne chambre que j’ai trouvée innoccupée, que je reoccupe avec plaisir et où, jusqu’à nouvel ordre, je vais même pouvoir coucher en parfaite indépendance.
            Hier matin l’adjudant s’est donc décidé à nous donner les resultats de l’examen. Je n’ai pas été surpris d’être reçu ; je ne sais d’ailleurs pas mon rang qui ne doit pas être très  brillant.
            Nous ne sommes partis qu’à 4 heures ½ du soir et j’ai fait passer le temps comme j’ai pu en bavardages, lectures, etc.  Voyage long, mais pas extremement fatigant. J’ai été en seconde tout le temps et ai pu assez bien dormir. Nous sommes rentrés triomphalement à Pt St Esprit avec les galons d’Elève officiers que nous nous étions empressés, pendant le trajet, de recoudre sur nos manches.
            Impression un peu triste. Il pleuvait. Tout nous paraissait vide, la grande majorité des camarades étant partie, les autres restant gentils, mais un peu jaloux.
            L’évenement de la journée a été la presentation du commandant du depot, un petit vieux très gentil qui nous a dit qu’il nous considerait dès à present comme aspirants, devant prendre nos repas au mess des sous-off et partager le regime de ceux-ci. C’est ce que nous avons fait. Ces derniers se traitent fort bien, je t’assure. Et c’est fini pour le moment du regime de la gamelle. Chaque repas nous coute 6 sous, ce qui sera d’ailleurs largement rémunéré par la solde de 2 frcs par jour que nous toucherons lorsque nous serons officiellement aspirants.
            Enfin et surtout le commandant nous a laissé esperer quelques jours de congé au moment de notre nomination. Malheureusement, comme ns serons probablement changés de corps, ça ne dépendra pas de lui. Esperons qd même.
            Comme ma compagnie couche encore sur la paille et que, actuellement, il y regne un saint desordre, comme nous sommes des hors d’œuvres à la veille de notre depart du corps, nous coucherons en ville ; moi dans mon ancienne chambre.
            Je suis obligé de te quitter, car le jour baisse et je n’ai pas encore de lampe.
            Si c’était vrai, quand même, qu’on va  pouvoir être réunis chez soi !
            Je t’embrasse de tout mon  cœur.

J. Médard
Elève officier de reserve
27ème Cie
55e de ligne
Pont-St-Esprit

lundi 1 décembre 2014

Draguignan, 1er décembre 1914 – Jean à sa mère


Draguignan 1 Decembre 1914
            Ma chère Maman 

            Ta bonne lettre m’est rapidement arrivée et je m’empresse d’y repondre.
            J’ai reçu ces jours-ci le chandaï et la paire de chaussette. C’est tout à fait bien, je n’ai pas eu à faire usage du chandaï, mais les chaussettes en ce moment même me tiennent chaud aux pied. Nous aurons le temps d’en reparler mais il me semble que je préfère ce modèle à l’autre.
            Quand à l’argent, envoie-moi les 20 frs si tu peux. Je n’en est pas encore un besoin express, puisque j’ai sur moi plus de 55 frs. Mais là-dessus il y a 30 frs en or qu’il serait bon de garder tels quels pour la campagne, il va me falloir payer ces jours-ci les 20 frs de glace, et enfin, le 9, dix francs de chambre.
            De ce que je fais, je n’ose presque plus te parler tellement ma vie est monotone. C’est toujours le matin le même reveil au clairon, le lever dans l’air lourd de la chambrée, le depart pour l’exercice, la tasse de « jus » une fois bue. Chacun de nous à tour de role prend la place d’un chef de section et le travail commence, beaucoup plus relaché ces derniers jours. Ici souvent nous rentrons de bonne heure pour une theorie ou une conference, car notre adjudant a la parole facile et il en abuse.
            Après la soupe, on se vautre un moment sur son lit en lisant le journal, en attendant le nouvel exercice et le nouveau retour. Je dine rapidement au pied de mon lit à la lueur d’une lampe fumeuse, et je sors de la caserne toujours un peu comme d’une prison, je me paye deux sous de chataigne, je vais lire les depêches à la prefecture, et je rentre dans ma petite chambre où je me sens chez moi, et où je vis près de tous les chers eloignés. A 9 heures je rentre rapidement à la caserne. Il fait beaucoup plus froid, je me couche vite, je m’enfonce dans mon lit comme dans une gaine, tant ma couverture est bien bordée, et je ne tarde jamais à m’endormir.
             Sur ce canevas se greffe un peu de tout, le plaisir d’une bonne promenade matinale, ou l’abrutissement d’un même exercice idiot cent fois répété, des préoccupations, des reflexions, des conversations avec les camarades. Il y en a de vraiment gentils. Dans ma chambre même un garçon très intelligent, un peu catholique, il a été reçu le premier du peloton. Il prepare sa licence d’histoire. Il m’a preté quelques livres de M. Barrès qui m’interessent beaucoup. Sur la masse un peu amorphe il y a quelques types qui ont l’air vraiment bien, mais quand on n’est pas de la même section on a pas le temps de faire connaissance.
            T’ai-je dit que Seston, fils du pasteur de Milhau, près Nîmes, ancien copain de Louis-le-Grand était avec moi ?
            Mes propriétaires sont toujours pleins d’attentions. Le fils vient de m’apporter une chaufferette, qui est tout ce que je puis me permettre comme chauffage. C’est d’ailleurs parfaitement inutile car il fait beaucoup moins froid depuis deux jours.
            Dimanche a été une bonne journée de tranquilité, de correspondance et de lecture. Je suis allé lire pendant les heures chaudes de l’après-midi au grand soleil de la montagne.
            Evidemment j’aimerais mieux d’autre patelin que Draguignan, mais, vraiment, je ne m’ennuie jamais. Je crois que j’ai perdu la possibilité de m’ennuyer, surtout quand je suis seul.
            Je pense bien à toi, à ton travail, à toutes les tristesses qu’il entraine.
            Oui, Mme B. est un fameux phenomène.
            Terrible la disparition du gendre des Frisch.
            J’ai aprouvé le desir de Suzanne d’aller en Belgique, si sa presence était vraiment necessaire. Il ne s’agit bien entendu pas d’un sport. Je suis heureux de voir que Hugo et toi n’êtes pas opposés en principe à la chose. Et pourtant ce serait encore un sacrifice qui te serait demandé là
            Adieu, ma maman chérie. Remercie encore Alice et Suzon pour le chandaï : quand je le mettrai je penserai que c’est vous les trois femmes du foyer qui me tenaient chaud au cœur.
            Je vous embrasse comme je vous aime

Jean

jeudi 27 novembre 2014

Draguignan, 27 novembre 1914 – Jean à sa mère


Draguignan le 27 Novembre 1914
            Ma chère Maman 

            Je regrette que tu me trouves peu prodigue en lettres. Je t’écrirai desormais regulierement deux fois par semaine sans attendre reponse. Pourtant si nous nous ecrivions par retour du courrier comme je le fais aujourd’hui ce serait plus rapide et commode pour communiquer.
            Je commence, comme toujours, par repondre à tes questions. Il n’est pas possible d’avoir du feu dans ma chambre, faute de cheminée. Si j’y souffrais du froid je n’aurais qu’à mettre un vetement de plus.
            Il m’est impossible de te donner notre emploi du temps, car notre travail est assez varié.
            Nous ne nous levons generalement pas avant 6 heures. A 7 heures nous partons jusqu à 10 heures sur un champ de manœuvre, ou dans la campagne, l’après midi ça recommence de 1 heure à 4 heures ½. Parfois c’est du tir. D’autres fois des marches plus longues avec service de patrouille d’avant-garde, etc. Alors on se lève plus tôt. D’autres jours nous creusons des tranchées. Une fois par semaine nous avons des exercices de 8 à 9 heures du soir pour nous habituer aux manœuvres de nuit. Aujourd’hui nous sommes partis pour toute la journée. Nous avons dejeuner dans un village des environs avec provisions emportées de la caserne ou achetées sur place et nous rentrons maintenant. Mais même les marches ne depassent pas 15 à 20 kil. On ne cherche pas à nous entrainer à marcher beaucoup, mais à savoir combattre, et tout le long de la route nous faisons du service en campagne, ce qui est d’ailleurs beaucoup plus fatigant mais aussi plus interessant. Certains coins sont ravissants. Je viens de passer vraiment une bonne journée.
            J’ai reçu une lettre de Moutet. Ils ne se sont pas encore battus, sont en arrière où ils font surtout de la cuisine. On les cantonnent assez bien et ils peuvent resister au froid.
            N’aie pas honte de me dire que tu te sens seule et que tu en souffres. Ces petites souffrances palissent à côté de celle de tant d’autres, mais entre nous nous avons bien le droit de nous le confesser        
           J’ai reçu une lettre d’Haein[1]. Ses parents consentent enfin à ce qu’il aille à Montauban, mais comme cet hiver est perdu pour lui il le consacre à sa mère tant qu’il n’est pas appelé, car son père est sur le front.
            Bonne lettre aussi de Lestringant. Il est pris, mais avec sursis d’appel pour ne pas desorganiser les services d’infirmerie où il était employé. Presque tous mes amis de Faculté sont maintenant sur le front.
            Je t’embrasse de tout mon cœur Maman cherie.

Jean

[1] Emmanuel Haein (1896-1968). Membre de la Fédé lycéenne. Futur pasteur.

samedi 8 novembre 2014

Train sanitaire semi-permanent PLM n° 1, 8 novembre 1914 – Albert Léo à Jean


A Léo
22e section infirmiers
train sanitaire semi-permanent PLM n° 1
Commission régulatrice de Gray (Hte Saône)

8 Nov. 14
            Mon cher Coco 

            Tes lettres du 28 Sept et du 23 Oct sont arrivées à peu près ensemble. Je ne savais plus ce que tu devenais. Depuis j’ai été occupé et n’ai pas eu le temps de t’écrire. Enfin notre train retapé et devenu plus pratique a fonctionné. Nous sommes allés à Cormery, aussi loin que les trains marchent par là, puis à Toul, prendre des blessés et les conduire à Besançon. Et maintenant je crains que cette lettre ne te trouve plus à Pont St Esprit et alors quand est-ce qu’elle t’arrivera ?
Source : Pages 14-18, sujet Un train...???
            Je vis d’une façon très étrange, intérieurement parlant. Je suis, avec une mentalité de combattant, dans un emploi fort différent. Quand je transporte des blessés, mon souci est naturellement de m’occuper d’eux matériellement, mais en deux jours je ne puis les connaître de façon à les aider moralement.
            Quand on est à la pause, un grand effort est de tenir propre moi et mes vêtements, d’avoir des réserves de biscuits et de miel dans ma boîte de fer-blanc, etc. A travers ce sale canevas, courent des fils lumineux, les lettres, l’idéal, la famille, les amis, notre foi. Mais on leur en voudrait presque de prendre trop de place, pour ne pas trop ressentir l’écart entre leur grandeur et la misère disette intérieure. On sent toutefois qu’on ne vit que par ces trésors là, qui coulent silencieusement au fond de notre cœur, même quand nous nous lavons les pieds ou que nous torchons un derrière de blessé.
            As-tu su que les anglais avaient admis des formations combattantes par catégorie : une université, un village, etc. Quelles merveilles nous aurions fait ensemble, dans n’importe quel poste. Suppose Domino transporté tel quel en ambulance divisionnaire ! Voilà la guerre telle que je l’admettrais, puisque guerre il y a. Mais ce gaspillage d’énergie est plus terrible que des vies perdues.
            Jusqu’ici mon expérience de la campagne est une haine nouvelle et vigoureuse des gens du midi (gare à toi). Tous ceux que j’ai vu ou dont j’ai entendu parler m’ont rappelé Tartarin, Tartarin tremblant, et hâbleur à proportion.
            Puis je trouve que la plupart des pasteurs sont trop en arrière, alors que les curés sont tués par centaines. Jusqu’ici je ne connais qu’un Weslyen tué ! Alfred Lacheret, je ne sais s’il est tué ou blessé. Je viens de voir tué, mais est-il pasteur. As-tu su la mort d’OlivierAmphoux ? Le connaissais-tu ?
            T’ai-je dit que je corresponds un peu avec Wilfred Monod. Je lui envoie des faits recueillis et il me répond gentîment.
            Ce qui me fait plus peur que les morts, c’est l’absence de sens moral dont les exemples sont légion autour de moi. Sommes nous donc incapables de nous discipliner et d’être maîtres de nous ? Ou bien est ce partout ainsi ? On ne sait que souhaiter.
            Toujours très bonnes nouvelles d’Arcachon. Mais Boissonnas[1] va s’en aller et l’Eglise sera livrée je crois à elle-même. Ma femme a pu être assez active. Guy m’écrit une espèce de lettre, avec des dessins, feuilles, etc. Ici cet envoi m’a bien impressionné. Ils grandissent, grandissent, tandis que la guerre ravage. Quel malheur que nos familles ne soient pas de 6 enfants. Le mot de Napoléon après une défaite : une nuit de Paris rattrapera ces morts, est cruellement faux chez nous. Dans 10 ans les Allemands auront autant de soldats que maintenant. Et nous ?
            Je reçois la circulaire de Pont, véritable trésor.
            Au revoir, quand on s’écrit on s’élève aussi vers Dieu, qui aime et ne tue pas.

Bien affectueusement à toi
A Léo

[1] Sans doute Georges Boissonnas (1865-1942), pasteur d’Arcachon.

vendredi 7 novembre 2014

Marseille, 7 novembre 1914 – Mathilde à son fils


Villa Svea le samedi [donc le 7 Novembre 1914]
            Mon cher fils, 

            Mon séjour s’est prolongé d’un jour à l’autre espérant tjours quelque chose sur ton sort nouveau. J’espérais bien partir aujourd’hui mais je me suis comme laissée retenir jusqu’à lundi parce que je sens vraiment le bienfait que je retire de ce temps de repos. De plus, oncle Marc est tombé malade Jeudi : il a une bonne bronchite et je me fais un devoir d’aller le voir tous les jours.
            Il a reçu hier ta bonne carte. J’ai été bien heureuse que tu aies écrit.
 


Eugène Beau
Source : Sébastien Ertz, collection particulière ©
 
          Henri Ertz (1891-1932), sergent au 4ème BCP et
arrière-grand-père de Sébastien Ertz,  était prisonnier
dans le même camp qu'Eugène Beau.    C'est à lui 
qu'Eugène adressa en novembre 1917 la carte ci-dessus.
         Son arrière-petit-fils Sébastien, en cherchant la
trace des camarades de captivité de son aïeul, a
trouvé la mienne et a eu la gentillesse de me
communiquer ce document. Qu'il en soit ici
vivement remercié.
         Voir aussi la lettre de Mathilde du 25 juillet 1915.
            J’ai eu hier une lettre de Suzie contenant aussi une lettre de votre tante Jeanne [Beau] adressée à ta sœur. Je te l’enverrai si ta sœur ne me demandait de la lui garder. Voici du reste textuellement ce que dit Eugène à ses parents : Blessé le 19 Août je fus fait prisonnier. Ma blessure est guérie. Je me porte très bien et souhaite qu’il en soit ainsi pour vous. Donnez-moi des nouvelles. Tout en nourrissant avec ferveur l’espoir de vous revoir je vous embrasse bien affent. Votre Eugène qui pense bien souvent à tous les habitants du Plan.

Verso de la carte ci-contre
Source : Sébastien Ertz, collection particulière ©













Adresse :       Eugène Beau, sergent au 58e
                        Kriegsgefangenen, Stall n° 10
                        Trùppenubùngs platz
                        Konigsbrück
                        Saxe                Allemagne
            Maurice se remet bien de sa blessure, il est toujours dans un Hôpital de Nice. Ta tante exprime le désir que tu ne te présentes pas à cet examen les officiers étant plus exposés que les non gradés.
            Cela me donne de nouveaux tourments, mais enfin il faut mettre en Dieu toute sa confiance. C’est lui qui a dirigé les évènements puisque je ne soupconnais pas que la chose fut possible. Il peut te garder. Ce serait trop beau si tu allais à Nîmes. dès que tu sauras quelque chose avise nous sans tarder.
            Je partirai donc seulement Lundi à quatre heures pr arriver à minuit, c’est le train le plus rapide. Je suis affublée d’un chien qu’il me faut remettre aux Pastoureau. Il me sera difficile de le remettre à cette heure là, je devrai donc l’amener à Cette ce qui ne fera pas la félicité d’Alice. Je revivrai demain nos heures de Dimanche passé et j’irai au temple sans toi en pensant à toi.
            Je t’embrasse mon cher enfant bien tendrement.

Ta mère affectionnée
Math  P. Médard

             Rudy écrit bien souvent. Il a été envoyé à Bar le duc pr le ravitaillement et a joui immensément de s’asseoir pr manger à une table d’auberge – il croit ne plus être capable de vivre une vie civilisée. 

mercredi 5 novembre 2014

Marseille, 5 novembre 1914 – Mathilde à son fils


Villa Svea[1] 5 Novembre 1914

            Mon bien chéri, 

            Tes bonnes lignes viennent de me parvenir et je m’en veux un peu de ne pas t’avoir encore écrit mais ces deux journées passées paisiblement auprès du lit de tante Fanny n’avaient rien d’intéressant pour toi. J’avais prtant hâte de te dire ma joie de ce bon revoir. Je vis dans ce souvenir bien réconfortant et je bénis Dieu.

            J’ai su hier soir par oncle Axel que tu avais réussi ton examen. On m’engage à attendre ici tes nouvelles car tu ne vas pas moisir à Pont et tu repasseras peut-être ici ; dans ce cas je voudrais encore être là. Néanmoins si je ne reçois rien je partirai après demain probablement.
            Je vais aller déjeuner chez oncle Marc[2] pour le voir un peu et le remercier peut-être apprendrai-je là quelque chose. Tu devrais lui écrire de ton côté, quelques mots seulement. Tu sais qu’il aime ça et il a été assez bon pour nous pr lui en marquer de la reconnaissance.
            Ce serait trop beau si tu allais à Nîmes. On ne peut prtant pas tout espérer. Mais là on se verrait souvent jusqu’au départ.
            Tu as bien fait d’envoyer ton ampoule [?] à M Lafon. Le tout est de savoir si nous pourrons en avoir une autre mais enfin rien de pressé, on cherchera.
            Bonnes nouvelles de Rudy[3] ce matin ; bonnes nouvelles générales du front n’est-ce-pas ! Ce qui m’a déroutée ce matin c’est d’apprendre que Reims était à nouveau bombardé. Je croyais les Allemands chassés de ses environs.
            Einar[4] est venu déjeuner avant hier il a été tout à fait bon et filial et affectueux pour moi ; il a eu je crois beaucoup de plaisir à te connaître et paraissait très heureux de sa soirée avec toi.
            Quand te fait on la troisième piqûre ? peut-être cela te retiendra-t-il encore à Pont. Dis le moi au plus vite.
            Je n’ai rien eu de Suzie ce matin. Je vais vite leur annoncer la bonne nouvelle.
            Je t’embrasse mon grand aimé de fils très tendrement. 
 
Ta mère affectionnée
Math. P. Médard 
 
C’est Einar qui a dit à Oncle Axel de la part d’oncle Marc que tu étais reçu.

[1] Résidence marseillaise de sa sœur Fanny et de son beau-frère Axel Busck, qui était par ailleurs l’oncle de Hugo Ekelund.
[2] Marc Benoît. Frère de Mathilde.
[3] Rudy (Rudolf) Busck, fils de Fanny et Axel. Autre cousin de Jean.
[4] Einar Ekelund : frère d’Hugo Ekelund, le beau-frère de Jean. (Dans cette lettre Mathilde orthographie improprement Eynar).





 

mardi 4 novembre 2014

Début novembre 1914, Draguignan – Formation militaire


Au début de Novembre j’étais envoyé avec cinq ou six camarades à Draguignan au dépôt d’un bataillon de chasseurs où nous avons reçu une formation rapide et intensive assez bien conçue. Je n’ai pas gardé un mauvais souvenir de ce séjour d’un mois. L’adjudant qui commandait notre peloton au-dessus de la moyenne des sous-officiers d’active, compétent et pas trop embêtant,  certains de mes camarades intelligents et cultivés, le temps assez doux et ensoleillé pour la saison. J’avais pu louer, comme à St-Esprit pour un prix très modique une petite chambre où je pouvais le soir lire et faire ma correspondance, enfin à l’aller j’ai pu m’arrêter quelques heures à Marseille et après mon retour à Pont-St-Esprit retrouver ma famille à Sète pour vingt-quatre heures.

Mémoires de Jean Médard, 1970 (2ème partie : Enfance et jeunesse)
 
Source : http://www.mode83.net/draguignan_hier_aujourdhui/intro.php
 

jeudi 30 octobre 2014

30 octobre 1914 – Pont-Saint-Esprit, caporal Médard



Source : Archives départementales de l'Hérault. Registres matricules.
Ma qualité d’étudiant m’avait valu un mois après mon arrivée au corps le grade de caporal et après un examen beaucoup plus littéraire que militaire ma nomination d’élève officier de réserve. Après les pertes en officiers qui avaient été très sévères pendant les premiers mois de la guerre il fallait faire feu de tout bois.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (2ème partie : Enfance et jeunesse)

mercredi 22 octobre 2014

Pont-Saint-Esprit, 22 octobre 1914 – Jean à sa mère

Pont St Esprit 22 Octobre 1914
Ma chère Maman 

J’ai reçu ta bonne lettre hier. Merci beaucoup. C’est tellement heureux de pouvoir s’écrire ainsi et avoir des nouvelles presque de chaque jour ; je jouis beaucoup de tout cela ces temps-ci  à la pensée que bientôt j’en serai sevré.
Demain deuxième piqure. J’espère qu’elle ne me fera pas souffrir plus que la première. La troisième dans une semaine je pense. Le départ est officiellement fixé par le Ministre pour la classe 14 vers le 10 novembre.
D’ici là d’ailleurs il y aura un peu de nouveau ds ma vie monotone. Le gouvernement va nous payer à 12 de nos camarades et à moi un petit voyage à Marseille. Eh oui ! C’est pour l’examen d’élève officier de réserve.
Presque tous des dispensés désiraient le présenter, soit une cinquantaine. Il n’était pas possible de nous envoyer tous à Marseille étant donné qu’il n’y a que 6 places par régiment. On a donc commencé par ns faire faire un petit examen préparatoire ici pour selectionner. On ns a donné une composition franco-historique à faire (Causes de la guerre actuelle ; situation politique des differentes puissances ; le tout à traiter ds une heure et demi). Je m’en suis tiré bon premier avec 19/20. Tu vois que ce sont des notes qui n’ont rien d’universitaire. Ensuite il s’agissait de prendre le commandement d’une section devant les commandants. Comme je ne m’étais jamais fait remarquer jusque là et qu’on ne m’avait jamais fait commander, j’ai été assez vaseux, pas assez cependant pour perdre ma place de premier.
Enfin, hier à 8 heures, le Colonel est venu de Privas pour donner son appréciation. Ds 3 ou 4 jours je partirai donc pour Marseille. D’ailleurs j’en serai quitte pour le voyage n’ayant aucune qualité militaire. Ici on ne nous a pas fait preparer du tout l’examen tandis que ds certaines autres villes les dispensés ne font que ça. Je pense que les dispensés du 55è reviendront bredouille. C’est du moins ce que nous a fait esperer le colonel.
Si par un hasard extraordinaire j’étais reçu, je pense que je ne resterais pas à Pont-St-Esprit. Mais quelle que soit ma nouvelle résidence, je n’y moisirai pas longtemps. Je partirai de toute façon le 10 comme les autres et comme les autres simples soldats, c’est là bas que je pourrais avoir + vite du galon (Marcel Péridier qui a passé l’examen final est encore sergent – Gueuillet a reçu de ses nouvelles).
Rien de plus à te dire. Je pense bien à toi à tes fatigues et à tes souffrances, et j’embrasse avec effusion tous mes chers Cettois.
 
Jean

            J’ai été très peiné par la mort de Roger Castelnau. Je l’avais apprise par « Evangile et Liberté ». Quel bonheur si Robert Leenhardt n’est que prisonnier. Donne moi toutes les nouvelles que tu sais sur ceux qui sont à la guerre.